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25 octobre 2010

Une Héroïsation douteuse.

 

Par Benjamin Stora Historien spécialiste de l'Histoire du Maghreb.

Une Héroïsation douteuse

Bouchareb Bisou.jpgA peine a-t-il été montré dans le cadre du Festival de Cannes que Hors-la-loi a suscité une polémique très idéologique.

Depuis, les choses se sont décantées. Des historiens ont visionné le film de Rachid Bouchareb. Ils ont constaté que cette œuvre remet en pleine lumière certaines zones d'ombre de notre passé et, au travers de l'évocation des massacres de Sétif, apporte un correctif à l'un des principaux domaines d'exercice de l'amnésie. Une amnésie qui s'explique, en partie, par le fait que la plupart des fictions françaises traitant de la guerre d'Algérie se concentrent sur 1954-1962, délaissant les événements et massacres antérieurs à cette séquence.

L'autre trou de mémoire que comble Hors-la-loi concerne la présence de l'immigration algérienne en France. Jusqu'ici, seuls trois films de fiction l'ont évoquée: Elise ou la vraie vie, le beau film de Michel Drach (1969), sur un scénario de Claude Lanzmann ; Vivre au paradis, de Bourlem Guerdjou (1997), avec, notamment, Roschdy Zem ; et, enfin, Nuit noire d'Alain Tasma, en 2005, consacré à la nuit du 17 octobre 1961 et à sa répression sanglante.

Mais, en dépit des clarifications auxquelles il procède, le film de Bouchareb relègue dans l'ombre une quantité impressionnante de faits, et brouille même parfois la frontière de la réalité et de la fiction.

Sur cet enjeu éternel du rapport de l'histoire et de la fiction, de nombreux films de guerre fonctionnent sur le mode de l'ellipse, de Voyage au bout de l'enfer à Apocalypse Now. Ces élisions du réel n'ont pas forcément un caractère problématique, car ces œuvres culminent dans une métaphysique de la guerre. Se voulant surtout un film d'action, Hors-Ia-loi n'est pas porté par cette métaphysique: il s'enracine explicitement dans une chronologie historique précise, avant et pendant la guerre d'Algérie.

Quand il évoque les massacres de Sétif, en 1945, on aurait pu s'attendre que la vraie durée des massacres (plusieurs semaines) nous soit restituée, avec leur localisation véritable (Guelma, Kherrata, et non pas seulement Sétif). Le choix de la contraction mythologique dans une unité de temps de vingt-quatre heures est adapté aux exigences du cinéma, mais il sert aussi l'impératif de sensationnalisme.

Absente, l'autre France.

Même remarque concernant l'évocation de la trajectoire des « porteurs de valises », les militants de la gauche française qui ont aidé le FLN : pour l'un (l'une, dans le film) d'entre eux qu'animaient des sentiments amoureux, l'immense majorité de ces porteurs de valises avaient un agenda essentiellement idéologique, et ils ont fait abstraction d'eux-mêmes.

Autre scène, autre concession à la part mythologique de la réalité: lorsque Bouchareb montre Sami Bouadjila dans l'usine, il imagine, en une scène improbable pour une situation d'hostilité, que celui-ci bat publiquement le rappel pour le FLN ! Or, cette organisation agissait dans un cadre strictement clandestin.

L'évocation de la guerre ouverte entre le FLN et le mouvement indépendantiste rival, le MNA de Messali Hadj, n'est, quant à elle, guère plus convaincante. La distorsion discrète de la vérité historique a beau répondre à un impératif spectaculaire, elle noie la complexité des situations politiques dans la contemplation sidérée d'une violence pure:

Le paroxysme est atteint avec deux attaques à main armée, qui raviront les amateurs de fusillades à la John Woo : celle que Bouchareb imagine, dans une forêt francilienne, contre une fourgonnette de harkis; l'autre, à l'encontre d'un commissariat de police, avec le but de se venger d'un gradé de la police responsable d'actes de torture, et au cours de laquelle l'un des acteurs, Roschdy Zem, interprétant un militant du FLN, vide son revolver sur les policiers. Cette héroïsation du FLN est comparée subliminalement à la Résistance française des années 40. Elle n'en demeure pas moins historiquement tout à fait problématique, car le FLN n'a porté la guerre officiellement qu'une seule fois sur le territoire français, en août 1958, avant de se raviser, en songeant à l'effet d'engrenage dramatique d'une telle stratégie.

Cette héroïsation a comme autre inconvénient de plonger dans l'invisibilité cette autre France, habitée d'anticolonialistes, auxquels les nationalistes algériens de l'époque vouaient une gratitude lucide. Hors­la-loi suggère un peu trop aisément que la France de cette époque était pareille à un bloc, retranchée derrière sa bonne conscience postvichyste. Les militants algériens, toutes tendances confondues, n'ont jamais vu les choses ainsi.

07:57 Écrit par Pataouete dans Film Théatre, L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (4)

23 octobre 2010

"Hors-la-loi" Droit d'inventaire ou droit d'inventer ?

Ce mois-ci sort en salles le nouveau long-métrage de Rachid Bouchareb, consacré à la guerre d'Algérie. Un film « idéologique » qui pose la sempitemelle question du rapport entre histoire et fiction. PAR ALEXIS LACROIX

rachid-bouchareb-hors-la-loi-et-fellagh-446444.jpgOn s'en souvient, Hors- la-loi, le dernier film de Rachid Bouchareb, a déchaîné une tempête de protestations au Festival de Cannes, en mai dernier, avant même sa projection. Emmenées par le député UMP Lionnel Luca, représentant musclé des « sécuritaires " de la Côte d'Azur, diverses associations de l'aile la plus conservatrice de la droite ont multiplié les « happenings" pour discréditer le film, qu'elles qualifiaient, à l'avenant, de «falsification historique» ou de geste « anti-France ». Face à ces surenchères, l'historien Benjamin Stora, spécialiste de l'his­toire du Maghreb et notamment de la guerre d'Algérie, avait expliqué: « Le refus d'assumer la guerre d'Algérie est très mal vécu par une part importante de la société française aujourd'hui: il faut donc 1'affronter. »

C'est aussi notre avis. La levée de boucliers suscitée par ce long-métrage consacré à la « guerre sans nom" est hors de propos et consternante. En lieu et place du vrai débat que ce film fortement contestable devrait susciter, les hallalis hystériques de la droite dure stérilisent la réflexion. Et ils bétonnent le couvercle mémoriel qui continue à verrouiller, dans la France de 2010, toute évocation de la guerre d'Algérie.

Mais voilà: cette « saga» narrant les destins et la lutte militante de trois frères, Messaoud, Saïd et Abdelkader, ébranlés des leur prime jeunesse par les massacres de Sétif, en 1945,avant de trouver refuge loin de leur terre natale, dans les bidonvilles insalubres de Nanterre, n'est pas un produit idéo- logiquement neutre. Cette fresque marque un basculement de la représentation collective - avant tout cinématographique - de la guerre d'Algérie. D'abord parce que son metteur en scene, se rêvant en Scorsese français y revisite le passé dans la lorgnette de l'intimité; les cartes postales successives qu'il offre au spectateur ont pour focale constante le foyer familial, ses drames et ses contradictions, où surnage une figure intangible, môle sur la houle de l'histoire: la mère des trois protagonistes. Ensuite, parce que le parti pris de Bouchareb est celui, analysé par l'historien Jean-Pierre Rioux, d'une spéacularisation de la violence, aux antipodes du cinéma militant d'autrefois: ainsi la chanson de geste du FLN se dissout-elle dans la captivante « machine à raconter ». Enfin, plus grave encore, cette réécriture haletante de la « guerre sans nom" fait se volatiliser la ligne de démarcation du réel et de la fiction, et mythifie le passé. Le storyteller Bouchareb n'hésite pas à imaginer des scènes proprement invraisemblables, comme l'attaque au kalachnikov d'un convoi de harkis dans une forêt francilienne. Il n'hésite pas non plus à présenter comme une constante (alors qu'elle fut une exception vite abandonnée) l'exportation par le FLN des hostilités sur le territoire français.

Alexandre Dumas entendait violer l'histoire pour lui faire de beaux enfants. En triturant l'histoire pour faire des images chocs, en usant et abusant de l'ellipse, en multipliant les raccords abrupts et les contractions chronologiques, Bouchareb réédite l'exploit discutable d'Indigènes en 2006. Mais il s'expose, d'abord, à un reproche de parti pris politique, aggravé par la part importante des autorités algériennes dans le financement de son film. Il aiguise, surtout, la confusion intellectuelle, à une heure où, au contraire, quelques repères historiques élémentaires auraient un effet de clarification salubre de part et d'autre de la Méditerranée. Enfin, s'il demeure stupide de l'accuser de francophobie, Hors-la-loi, à aucun moment, ne rappelle la situation, au sens quasiment sartrien du terme, dont les nationalistes algériens étaient, eux, pleinement conscients: l'existence, pendant ces années terribles, de deux France, que tout opposait, celle des partisans de la répression et celle des champions de la cause algérienne, celle de Mollet et celle de Mendès, celle de Papon et celle de Jean Daniel.

La France vue par Hors-la-loi est un pays hémiplégique, amputé de sa part de lumière et de générosité. Tout cela ne mérite assurément pas une nouvelle « bataille d'Alger» médiatique. A l'époque du spectacle total, souvenons-nous seulement que les droits de l'artiste n'annulent pas ceux de la vérité.

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07:24 Écrit par Pataouete dans Film Théatre, L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : hors la loi, bouchareb, algérie

21 octobre 2010

Série de reportages sur la Guerre d'Algérie sur France Info

 

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Ce jeudi 21 octobre, France Info propose à ses auditeurs une série de reportages sur la guerre d’Algérie.

A 8H35, Benjamin Stora, historien et spécialiste de ce conflit, sera l’invité de Nicolas Poincaré, à l’occasion de la sortie de son livre « Algérie 1954-1962 ». Puis, des témoignages inédits d'acteurs de cette guerre rythmeront la journée. Le journaliste Sébastien Baer, est parti à la rencontre de cinq anciens appelés. Ils ont aujourd’hui plus de 70 ans mais les images sont toujours aussi présentes. Pour la première fois, ils ont accepté de partager sans concession les souvenirs douloureux de ce drame où s'étaient affrontées deux visions de l'honneur.
50 ans après, que sont-ils devenus et quels regards posent-ils sur cette guerre ? Les premières heures du combat, les actes de tortures, le paradoxe de la pacification, la propagande mais aussi les décennies de silence qui ont suivi cette guerre… Au fil de leurs souvenirs, c'est toute l'histoire de l'Algérie déchirée qui défile.

7H15 : Le choc de la guerre
Les premiers jours sur le terrain, les actes de torture malgré l’envie d’aider le peuple algérien… Comment les appelés ont-ils vécu les débuts de cette guerre perdue d’avance ?
 

8H35 : Regards croisés
La guerre d’Algérie vue par deux anciens soldats « ennemis » : l’un du FLN, l’autre de l’OAS. Quelles ont été les raisons de leur engagement ? Le combat était-il légitime ?

 10H45 : Portrait d’un appelé

 12H45 : Les Harkis
Ils ont été abandonnés une fois la guerre terminée : traitres en Algérie et ignorés par la France. Un double exil. Quel regard les anciens appelés posent-ils sur ces oubliés du combat ?

17H45 : 50 ans après, des plaies encore à vif
Comment les appelés ont-ils vécu l’amnésie de la France suite au conflit ?

20H15 : La propagande
La France a gagné sur le terrain, mais c’est l’Algérie qui a gagné la guerre psychologique. En quoi la propagande a-t-elle eu un rôle décisif dans ce conflit ?

10:28 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : algérie, stora, france info

17 septembre 2010

"Des hommes et des dieux" : 'Laissez passer l'homme libre...'

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Nous avions beaucoup disserté à propos de ce film et de cette affaire à l'occasion de sa présentation à Cannes.

http://patawet.hautetfort.com/archive/2010/05/18/des-homm...l

et

http://patawet.hautetfort.com/archive/2010/05/18/des-homm...

Depuis, ce film est sorti en salle.

Je n'ai pas encore pu y aller.

Mais vous ?

et qu'en avez vous pensé ?

08 septembre 2010

La jeune fille et la mère de Leïla Marouane

 

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Un roman choc, un roman phare, un roman terrible et essentiel sur la condition des femmes algériennes par Leïla Marouane. Le destin d’une femme, la mère et celui de sa fille si tôt pubère et avec qui on va vivre en pleine adolescence toute la tragédie des femmes. La mère fut une héroïne de la guerre d’Indépendance. Elle rêvait pour elle aussi, pour sa vie personnelle et celles des autres femmes une vie qui rimerait avec les mots choisis pour le pays. Las, ce sont les hommes qui reconstruisent le pays et cela dans le respect de la tradition. La vie de la mère ? La cuisine, l’enfermement, la couche d’un mari non choisi, les grossesses à répétition, de plus en plus aussi toutes les rigueurs de l’Islam. Défaite d’un combat non mené, elle rumine une rancoeur qui au terme de sa vie la fera sombrer dans la folie. Défaite, elle surinvestit en des espoirs pour sa fille aînée. Ecole, diplômes, Europe. Vie autonome et fuite de tous les travers de toutes les traditions. Mais que se passe-t-il lorsque la Tradition est la plus forte ? Lorsque les espoirs ne sont pas au rendez-vous ? Lorsque surtout la révolte d’une ado ne correspond à celle programmée par la mère, en matière de sexualité notamment ? C’est cela ce roman fort,dense,terrible,manifeste.

La jeune fille et la mère de Leïla Marouane aux Editions du Seuil

J'ai fait la connaissance de ce livre et de Leïla Marouane, sur le blog de ma Soeur de Racines Laurencel. Elle publie ces jours ci une longue conversation que lui a accordé Leïla.

Je vous "Ordonne" une visite chez : Laurencel. Cela eclairairera autrement la lecture de ce livre.