23 octobre 2010
"Hors-la-loi" Droit d'inventaire ou droit d'inventer ?
Ce mois-ci sort en salles le nouveau long-métrage de Rachid Bouchareb, consacré à la guerre d'Algérie. Un film « idéologique » qui pose la sempitemelle question du rapport entre histoire et fiction. PAR ALEXIS LACROIX
On s'en souvient, Hors- la-loi, le dernier film de Rachid Bouchareb, a déchaîné une tempête de protestations au Festival de Cannes, en mai dernier, avant même sa projection. Emmenées par le député UMP Lionnel Luca, représentant musclé des « sécuritaires " de la Côte d'Azur, diverses associations de l'aile la plus conservatrice de la droite ont multiplié les « happenings" pour discréditer le film, qu'elles qualifiaient, à l'avenant, de «falsification historique» ou de geste « anti-France ». Face à ces surenchères, l'historien Benjamin Stora, spécialiste de l'histoire du Maghreb et notamment de la guerre d'Algérie, avait expliqué: « Le refus d'assumer la guerre d'Algérie est très mal vécu par une part importante de la société française aujourd'hui: il faut donc 1'affronter. »
C'est aussi notre avis. La levée de boucliers suscitée par ce long-métrage consacré à la « guerre sans nom" est hors de propos et consternante. En lieu et place du vrai débat que ce film fortement contestable devrait susciter, les hallalis hystériques de la droite dure stérilisent la réflexion. Et ils bétonnent le couvercle mémoriel qui continue à verrouiller, dans la France de 2010, toute évocation de la guerre d'Algérie.
Mais voilà: cette « saga» narrant les destins et la lutte militante de trois frères, Messaoud, Saïd et Abdelkader, ébranlés des leur prime jeunesse par les massacres de Sétif, en 1945,avant de trouver refuge loin de leur terre natale, dans les bidonvilles insalubres de Nanterre, n'est pas un produit idéo- logiquement neutre. Cette fresque marque un basculement de la représentation collective - avant tout cinématographique - de la guerre d'Algérie. D'abord parce que son metteur en scene, se rêvant en Scorsese français y revisite le passé dans la lorgnette de l'intimité; les cartes postales successives qu'il offre au spectateur ont pour focale constante le foyer familial, ses drames et ses contradictions, où surnage une figure intangible, môle sur la houle de l'histoire: la mère des trois protagonistes. Ensuite, parce que le parti pris de Bouchareb est celui, analysé par l'historien Jean-Pierre Rioux, d'une spéacularisation de la violence, aux antipodes du cinéma militant d'autrefois: ainsi la chanson de geste du FLN se dissout-elle dans la captivante « machine à raconter ». Enfin, plus grave encore, cette réécriture haletante de la « guerre sans nom" fait se volatiliser la ligne de démarcation du réel et de la fiction, et mythifie le passé. Le storyteller Bouchareb n'hésite pas à imaginer des scènes proprement invraisemblables, comme l'attaque au kalachnikov d'un convoi de harkis dans une forêt francilienne. Il n'hésite pas non plus à présenter comme une constante (alors qu'elle fut une exception vite abandonnée) l'exportation par le FLN des hostilités sur le territoire français.
Alexandre Dumas entendait violer l'histoire pour lui faire de beaux enfants. En triturant l'histoire pour faire des images chocs, en usant et abusant de l'ellipse, en multipliant les raccords abrupts et les contractions chronologiques, Bouchareb réédite l'exploit discutable d'Indigènes en 2006. Mais il s'expose, d'abord, à un reproche de parti pris politique, aggravé par la part importante des autorités algériennes dans le financement de son film. Il aiguise, surtout, la confusion intellectuelle, à une heure où, au contraire, quelques repères historiques élémentaires auraient un effet de clarification salubre de part et d'autre de la Méditerranée. Enfin, s'il demeure stupide de l'accuser de francophobie, Hors-la-loi, à aucun moment, ne rappelle la situation, au sens quasiment sartrien du terme, dont les nationalistes algériens étaient, eux, pleinement conscients: l'existence, pendant ces années terribles, de deux France, que tout opposait, celle des partisans de la répression et celle des champions de la cause algérienne, celle de Mollet et celle de Mendès, celle de Papon et celle de Jean Daniel.
La France vue par Hors-la-loi est un pays hémiplégique, amputé de sa part de lumière et de générosité. Tout cela ne mérite assurément pas une nouvelle « bataille d'Alger» médiatique. A l'époque du spectacle total, souvenons-nous seulement que les droits de l'artiste n'annulent pas ceux de la vérité.
07:24 Écrit par Pataouete dans Film Théatre, L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : hors la loi, bouchareb, algérie
Commentaires
Merci à toi pour tes deux articles profonds, documentés, avec une analyse qu'aucun critique n'ose ou ne sait faire, faute de temps et d'éléments. Merci à toi, encore et encore. Je n'ai toujours pas vu le film, passant davantage de temps dans les théâtres que dans les cinémas (malgré mon envie) mon dernier film est "des dieux et des hommes" et je ne l'ai pas regretté. Je réponds également avec retard à la question que tu me posais sur "Folies Coloniales", je crois qu'ils ont un peu tourné en France et après le triomphe qu'ils ont eu à Alger, je crois qu'ils vont avoir une grosse tournée en Algérie et j'en suis ravie ! Plein de bisous
Écrit par : Laurencel | 25 octobre 2010
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