16 mars 2011
Les Juifs Berbères
Je voudrais profiter du témoignage de Nathalie Funes : "Mon Oncle d'Algérie" pour évoquer les Juifs Berbères. Ces tribus berbères dont l'origine se perd dans la nuit des temps antiques.
Ils furent plus tard rejoints par le juif arabo-andalou chassé d'Espagne par les Rois catholiques mais sans osmose entre les 2 communautés.
"À peu de temps près, le père de Fernand aurait pu naître français. Il est né indigène. Au matin du 6 mars 1869. Un an et sept mois avant le décret Crémieux de naturalisation des Juifs d'Algérie. La famille habite le long d'une allée de platanes, à Boufarik, dans une maison insalubre de la rue Duquesne, la principale artère du bourg. À une heure par le train d'Alger. La ville est restée longtemps un marais infesté de moustiques et de sangliers. Les eaux stagnantes empestaient. Les fermiers français qui s'installaient là ne résistaient pas. Ils mouraient, les uns après les autres, de paludisme ou d'une infection. Même les corneilles ne pouvaient vivre, disait le dicton. C'est devenu l'un des plus beaux vergers de la Mitidja, la longue plaine littorale de l'Algérie, bordée au sud par l'Atlas. Les vignes et les oliviers s'étendent à perte de vue. Ils ont même reçu la visite de l'empereur Napoléon III lors de son voyage dans la colonie, au printemps 1865. Le marché du lundi, avec ses moutons repus et ses oranges gorgées de sucre, est l'un des plus courus de la région.
Les Doukhan n'en profitent pas beaucoup. Il naît un enfant tous les deux ans. Il en meurt presque autant. De diphtérie, de malaria, de scarlatine, d'angine. Le suivant sur la liste des naissances reprend le prénom du défunt. Ils sont huit à atteindre l'adolescence. Jacob, Aziza, Saül, le troisième, Abraham, Fortunée, Clara, Nedjema. Et Adolphe, le benjamin. Comme beaucoup de garçons de sa génération, il a été baptisé ainsi en hommage à Adolphe Crémieux, le père du décret.
Tous s'entassent dans une seule pièce, dorment à plusieurs, tête-bêche, dans les mêmes lits. Le matin, Jacob, l'aîné, va chercher de l'eau au puits. Le soir, ses frères et sœurs se serrent autour du kanoun, le fourneau arabe, qui marche au charbon de bois. Les parents, la mère, Ester, avec son foulard noir qui tombe sur les épaules, sa robe noire qui descend sur les pieds, Isaac, avec son pantalon bouffant et sa chéchia enrubannée, le couvre-chef des musulmans, ont toujours l'air fatigué. La famille embrasse la main du père le vendredi soir, pour le shabbat. C'est l'un des rares signes de respect auxquels il a droit. Isaac travaille comme simple journalier. Le plus humble des métiers. Il part à l'aube, chaque matin, au vieux puits à dôme gris de la place du marché, le lieu de rendez-vous de ceux qui viennent louer leurs bras à la journée. Il ramasse les olives dans les fermes des colons, il écrase le raisin avec ses pieds, il fabrique des fagots, il tisse du coton et du lin, dans l'usine, à la sortie de Boufarik. Il revient le soir, brisé, avec un franc cinquante en poche. À peine de quoi nourrir ses enfants.
Les Doukhan comprennent mal le français, parlent arabe à la maison. À Boufarik, il n'y a même pas de synagogue pour la vingtaine de familles israélites. Une simple bicoque, avec une pièce unique, fait l'affaire. Le rabbin est un commerçant qui est censé toucher un peu d'argent pour l'abattage rituel des animaux. Mais le boucher ne le paye plus depuis longtemps. Ici, comme souvent en Algérie, le judaïsme est fait de superstitions et de suspicions, avec des amulettes pour éloigner les sorciers, des rituels de purification sans grands principes théologiques, des cérémonies dominées par les cris et les pleurs. Les émissaires, dépêchés par la communauté française pour observer les traditions de leurs homologues algériens, n'en reviennent pas d'entendre les femmes juives hurler, comme les Arabes, des youyous stridents aux mariages et aux enterrements. Les gamins de Boufarik ne bénéficient d'aucune instruction religieuse. Ils apprennent juste à déchiffrer l'hébreu.
C'est le seul enseignement que reçoivent les fils Doukhan. Personne ne va à l'école. Les garçons sont envoyés chez le relieur ou le matelassier du coin dès qu'ils ont dix ans, les filles dans les maisons bourgeoises pour faire, le ménage ou garder les petits. Les premiers établissements scolaires ont pourtant ouvert dans l'Algérie française. Il y a des enseignements publics, souvent dispensés par les congrégations catholiques. Mais il faut payer les stylos, les cahiers, les vêtements, les chaussures. Quand les lois de Jules Ferry sont votées, en 1881-1882, que l'école devient laïque, gratuite et obligatoire, Saül Doukhan a douze ans. Il est déjà orphelin. Le père est mort l'année de ses cinquante et un ans, la mère de ses quarante, épuisés.
La famille venait d'emménager à Alger. Elle s'était installée impasse Kléber, tout en haut de la Casbah. Là où la lumière est si aveuglante, le matin. Le quartier mauresque est assis sur la colline. Une cascade blanche de maisons et de ruelles enchevêtrées qui tombe dans la mer. On ne croise que des musulmans et des Juifs dans les passages tortueux. Les Doukhan espéraient trouver une vie plus facile, le père, un travail régulier, la mère, des cousins qui puissent l'aider, elle qui est née là. Ils laissent des petits qui savent à peine marcher. Saül n'a pas de chance. Son frère aîné, Jacob, meurt, lui aussi, l'année suivante, d'une mauvaise fièvre. Il a quinze ans. Le sellier chez qui il travaillait, et le chaouch, l'huissier, du consistoire, l'institution chargée du culte hébraïque, s'occupent d'aller déclarer son décès à l'officier d'état civil de la mairie d'Alger. Il n'y a plus d'adulte vivant, dans la famille, pour le faire.
Les Doukhan sont de culture arabo-berbère, comme la moitié des Juifs du pays. Leur nom vient du mot arabe dukhân, qui signifie fumée. Dans l'Algérie coloniale du XIX siècle, ils sont à peine mieux considérés que les musulmans. Ils ont souvent les mêmes origines, ils portent le même patronyme, ils parlent comme eux, vivent comme eux, dans les mêmes quartiers, avec les mêmes traditions. Ils étaient là avant 1830, avant les Français, avant les Arabes. Peut-être depuis l'Antiquité. On a retrouvé les traces de Juifs au Maghreb à l'époque de Carthage. Ils ont suivi les commerçants phéniciens, qui ont fondé Annaba, Tipaza, Cherchell, Alger, les premiers comptoirs de la côte méditerranéenne. Ils se sont mêlés aux Berbères de l'intérieur du pays et les ont convertis. Ils ont ensuite vu arriver les séfarades, les Juifs d'Espagne qui fuyaient les massacres, en 1391, puis ceux que les rois catholiques ont bannis, en 1492. Ce sont des Juifs en terre d'Islam, des « dhimmis », des « sujets protégés », comme les chrétiens, l'autre religion du Livre, qui vivent en culottes bouffantes, burnous noir et pantoufles, mais qui ne sont pas des citoyens de la cité musulmane.
Le père, Isaac Doukhan, racontait souvent à ses enfants tout ce qui était interdit au grand-père Jacob, né à la fin du XVIIIe siècle, du temps de la Régence turque d'Alger, et qui était mercier à Blida, à une quinzaine de kilomètres de Boufarik. Pas le droit d'étrenner du vert, la couleur réservée aux descendants du Prophète, mais du noir, avec une calotte, jamais entourée d'un turban, juste d'un mouchoir. Pas le droit de posséder des armes ou de circuler avec un falot allumé, la nuit. Seulement avec une petite bougie tenue à la main. Pas le droit de monter sur un cheval, animal trop noble. Uniquement sur un âne ou un mulet, et sans selle. Lorsqu'il croisait un musulman, le grand-père Jacob devait lui céder la droite et passer à gauche en signe de respect. Il se déchaussait devant les mosquées et les écoles religieuses. Il détournait la tête pour ne pas regarder les fidèles en train de prier, sous peine d'être roué de coups. Sa maison devait être moins haute que celles des musulmans. Ses chaussures, ouvertes sur le talon, étaient trop courtes. Pour que son pied touche le sol, en signe d'humilité.
Quand les troupes françaises du roi Charles X débarquent dans la baie de Sidi Fredj, à l'ouest d'Alger, en juin 1830, il y a 25 000 Juifs en Algérie, comme les Doukhan, organisés en «nation ». Avec un «roi », un mokdem, responsable des impôts, et des tribunaux rabbiniques, chargés de la justice. Ce sont le plus souvent des petits artisans, des tailleurs, des brodeurs, des cordonniers, des menuisiers, des orfèvres, des bijoutiers, des boutiquiers, des colporteurs, et quelques bourgeois enrichis par le commerce. Cela fait trois siècles que la Régence turque d'Alger, un État autonome de l'Empire ottoman, est installée dans le nord de l'Algérie et impose aux Juifs le statut de dhimmis. La plupart se jette dans les bras de la France auréolée de ses idées de liberté, d'égalité et de fraternité. L'intégration est en marche. Il faut les civiliser, tous ces Doukhan qui vivent si chichement, ne savent pas écrire le français et croient au diable. Il faut qu'ils suivent le chemin de leurs homologues français, eux qui se sont pliés aux lois de leur pays. Un homme de soixante-quatorze ans, Adolphe Crémieux, ministre de la Justice, franc-maçon né dans une famille juive provençale, en fait un des derniers combats de sa vie. Le 24 octobre 1870, alors que les troupes allemandes campent autour de Paris, il soumet neuf décrets au gouvernement. Le plus célèbre est le numéro 136. « Les israélites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens français. En conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française; tous droits acquis jusqu'à ce jour restant inviolables. Toute disposition législative, décret, règlement ou ordonnance contraires Sont abolis. »
Du jour au lendemain, les Doukhan, Isaac, Ester, Saül, ses frères et sœurs, deviennent français et tombent sous les lois de la République. S'il y avait eu un peu d'argent dans la famille, les filles en auraient hérité. Contrairement à la coutume qui, jusque-là, voulait que seuls les fils touchent quelque chose à la mort des parents, et les aînés, deux fois plus que les cadets. IIs votent désormais aux élections et font leur service militaire. IIs n'ont plus le droit d'être polygames ou de divorcer, comme leurs ancêtres."
07:27 Écrit par Pataouete dans L'Algérie Les Berbères | Lien permanent | Commentaires (34) | Tags : algérie, juifs berbères, nathalie funes, mon oncle d'algérie
Commentaires
J'ai fini" Biskra" "Ma" Biskra comme dit l'auteur , tu avais fais une très jolie note , pas grand chose à ajouter.
Des bises
Écrit par : noelle | 16 mars 2011
Écrit par : Paule Atlan | 31 octobre 2011
J'aimerais beaucoup lire le "Biskra"de Noëlle (ma grand-mère maternelle venait de Biskra, avec son couscous si particulier...et ses roses)
Écrit par : Paule Atlan | 31 octobre 2011
Le livre ô Biskra , une enfance algérienne de Pierre- Philippe Barkats
Biskra, est pour moi aussi de jolis souvenirs...
Amitiés
Écrit par : noelle | 31 octobre 2011
Est-ce que vous vous rappelez que le plat en bois pour rouler la graine s'appelle le "kesra" ? Je ne l'ai trouvé nulle part. Je l'ai ajouté dans le "kesra" de wikipédia mais je voudrais que quelqu'un d'autre ait le même souvenir ........
Écrit par : Paule Atlan | 31 octobre 2011
Écrit par : millet | 29 décembre 2011
Écrit par : noelle | 31 octobre 2011
Écrit par : Paule Atlan | 31 octobre 2011
Écrit par : noelle | 31 octobre 2011
La Kesra serait une galette qu'on mange avec le couscous ( l'explication de ma soeur )
Un souvenir de cette galette ?
Écrit par : noelle | 02 novembre 2011
Je vous remercie d'avoir répondu.
Écrit par : Paule Atlan | 02 novembre 2011
Écrit par : Rosa | 05 novembre 2011
Écrit par : Maine | 07 novembre 2011
Ce blog continuera à vivre...
Écrit par : noelle | 08 novembre 2011
Ah bon? Les Juifs espagnols et les juifs "berbères" se sont mélangés très vites par mariages et mélange de leur deux cultures , autant en Algérie qu'au Maroc , et je serais surpris de voir un Juif me dire qu'il connait son arbre genealogique par coeur. De plus les "Dukhan" pourraient être liés aux "Duran" qui ont une origine juive espagnole et contadim connue. Les Juifs qu'ils étaient d'Espagne ou d'Afrique du nord étaient des Juifs , la culture est un second plan et les Juifs ont durant l'histoire changés de culture aussi rapidement que de villes.
Écrit par : Nashir | 02 décembre 2011
Forcément, puisqu'ils ont été chassés et ont du s'adapter aux pays qui les accueillaient, en adoptant la langue,les us et coutumes de ceux qui les hébergeaient.
Grande qualité qui fait défaut aux immigrants actuels, en France surtout,qui veulent imposer leurs coutumes et religion au lieu de s'intégrer au pays qui les accueille. C'est un nouveau terrorisme.
Écrit par : bagra | 20 février 2012
Quand à la Kesra c'est le nom qu'on donne à la galette faite avec de la semoule, de l'huile, sel et eau.
Écrit par : Louisa | 11 février 2012
Écrit par : tarik | 17 février 2012
Bien sur que Dahiya était juive et que beaucoup de berbères se sont convertis au judaisme ! Beaucoup sont encore chrétiens (en secret car menacés) et musulmans aujourd'hui. Je te laisse faire de srecherches par toi même Google est ton ami !
Quand à Graba : garder vos commentaires pour un site qui en est dgne genre Fdesouche, c'est lamentable de lire de tels propos, ni argumentés par des faits, ni renseignés, demi mensonges balancés au hasard sans discernement.
Écrit par : Djamila | 28 août 2014
Quand à parler d'arbre généalogique,connaissez-vous seulement le votre ? Charité bien ordonnée commence par soi-même...
Écrit par : bagra007 | 20 février 2012
Écrit par : De Simone Paul | 25 juin 2012
Écrit par : messouka | 19 septembre 2012
Écrit par : mohamed | 14 mai 2014
Écrit par : Ouriachi | 28 août 2014
Écrit par : Djamila | 28 août 2014
Je ne comprends pas votre argument de français de souche ! Les juifs d 'Algérie ne sont pas français de souche, ils sont français de cœur et d'esprit et sont républicains.
Ils respectent donc les valeurs d'une république laïque et de tradition chrétienne.
La religion est une affaire privée.
Écrit par : Bagra | 28 août 2014
Je ne comprends pas votre argument de français de souche ! Les juifs d 'Algérie ne sont pas français de souche, ils sont français de cœur et d'esprit et sont républicains.
Ils respectent donc les valeurs d'une république laïque et de tradition chrétienne.
La religion est une affaire privée.
Écrit par : Bagra | 28 août 2014
Écrit par : Djamila | 18 septembre 2014
Eric ZEMMOUR est un juif berbère pour ne citer que lui.
Écrit par : louisa | 04 septembre 2014
On ne peut pas dire qu'il œuvre pour la paix et la réconciliation mais pour l'éternelle guérilla et l'éternel antisémitisme qui nous a fait fuir l'Algérie où nous n'avions plus de place ni d'avenir.
Le bon juif pour lui est un dhimmi inférieur.
Désolant.
Écrit par : Bagra | 04 septembre 2014
c'est vrais qu'il y avait des juifs berberes convertis mais c'etait un nombre tres tres petit, la majoritee des Berberes etaient Catholic en fait apres le nombre de berberes Catholic il y avaient plus de Berberes qui croyait en Gaya et autres Dieus grecs que celui des juifs et y'avaient meme plus de berberes qui priyaient pour le Soleil que celui des nombres de juifs berberes, j'ai rechercher beaucoup ce sujet et je vois que les gens surtout les juifs il exagerent le nombre des juifs dans certains regions d'Algerie et je ne sais pas pourquoi ces gens gonfle le nombre des juifs et des fois il mettent des nombres beaucoup plus superieur que celui de toute la population et des diffrents races dans une ville comme celle de Oran ou Biskra ou Blida.
A propos de Kahina, nomee Kahina par les Arabes parcequ'elle voyait le future ou des visions du future, son nom Daya ou bien Dihya elle etait Catholique mais la pluspart des gens penssaient que c'estait une juive parcequelle s'appelle Kahina mais ca na jamais ete prouves, je dis ca parceque c'est prouve' qu'elle a toujours voyagee avec un entourage et qu'elle avait une status de Saint possible la status de Maria mere de Jesus.
Écrit par : Elias Cherif | 12 octobre 2014
Écrit par : merouche charaf | 09 janvier 2015
Quand à la reine des Aurès la KAHINA ou DIHYA elle est juive et non pas chrétienne que tu le veuille ou pas et il est préférable de revoir l'histoire.
Écrit par : louisa | 12 janvier 2015
j'ai seulement cite' les 3 Villes ou le nombre de Juifs est amplement exagere' dans les annales et l'internet. Je vous defit a l'amiable, de me produire un document officiel ou historique qui prouve que Kahina etais juif.
bonne journee'
Elias
Écrit par : Elias Cherif | 12 janvier 2015
Les commentaires sont fermés.