Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15 avril 2010

Cagayous

 

Cagayous

musettessses.jpgLe « Père » de Cagayous s'appelait Auguste Robinet. Né à Alger en 1862 ; très tôt orphelin, il fut commis du Service Vicinal de la ville avant l'obtenir, après concours, le poste l'inspecteur de l'Assistance Publique.

Fonctionnaire mais aussi, pendant un demi-siècle, chroniqueur, critique de théâtre et, surtout... barde de la langue et des mœurs populaires algéroises.

Robinet débuta à 20 ans dans la presse en signant « Tête d'âne », des fantaisies liées à actualité qui paraîtront dans « L'Akhbar ».

A partir de 1888, dans la « Revue algérienne » puis dans le « Turco », deux périodiques fondés par Ernest Mallebay, il donnera de régulières et spirituelles chroniques sous les pseudonymes de Rob ou de Jean de l'AGHA.

Après s'être « exercé » dans quelques écrits en « pataouète », le langage parlé de Bab-el-Oued, qu'il avait parfaitement assimilé, il rédigea « Mardi Gras ». Pour cette première aventure du « plus grand voyou d'Alger » Robinet, curieusement, signa « Cagayous, vu et mis au point : Musette ». Elle fut publiée dans l'hebdo du dimanche « Le Turco » le 3 Mars 1895. L'immédiat succès de cette pochade incita à l'édition des épisodes suivants en brochures à deux sous.

Il s'en vendit dans les rues 12.000 en une seule journée.

Réunies en volumes, ces histoires furent constamment rééditées au fil des ans. Plus près de nous, les Editions Baconnier (1969), Balland (1972) et Tchou (1979) redonnèrent vie à Cagayous et à ses « complices » hauts en couleurs.

Cagayous et à ses « complices » hauts en couleurs

Cagayous, « le roi des salaouetches », originaires de Bablouete (Bab el Oued), et sa petite bande de chenapans malicieux et turbulents parcouraient toutes les rues d'Alger où se déroulaient les cocasses péripéties de leurs exploits hebdomadaires. Une vie intense « d'en haut la cantera à en bas la mer ».

Cagayous avait son langage, extraordinaire et typique. C'était du pataouète moderne... ou du « cagaoussien ». Les étymologistes en recherchèrent les origines aux sources diverses, espagnoles à Bab-el-Oued, italiennes dans le quartier de la Marine, arabes à la casbah et françaises un peu partout ailleurs.

Cagayous savait ce qu'il voulait et se faisait comprendre : « Aucun, qu'il soit civil ou militaire, il m'empêchera à moi Cagayous que je chante ma chanson quand le soleil y me dit bonjour ! »

gagayousses.jpg

 

 

Un parler mais surtout un franc parler.

Prenez une bonne inspiration et je vous conseille de lire à Haute Voix sinon oualou tu capites.

Tchatche Homme.jpg- Quand il « montait » à la Casbah avec sa bande de « Cagnelos » c'était « pour faire maronner à les femmes ».

- Pendant la Semaine Sainte, il constatait « que le bon Dieu y s'en fout qu'on mange la bacalaô (morue) ou la viande, en condition qu'on se l'aye pas volée ».

- Aux bains de mer, « ousqu'iy a Matarèse » avec un « caneçon garibalde » il faisait des «  souprieux » (sauts périlleux).

- A l'épicerie, il exigeait « des anchois bonnes, celles-là qu'elles sont aplaties dedans le baril ».

- A la pêche : « y se sortait que des oublades grandes comme des savates ».

- En visite à l'Exposition de Paris, flanqué de ses acolytes : Embrouilloun, Bacora et la « Calotte jaune », il répondit, outré, à la question : - Vous êtes français ? - d'un quidam étonné par l'accent du quatuor : « Algériens nous sommes ... que ! »

Ce terme n'était revendiqué à l'époque, que par ceux qu'on appellera plus tard les «Pieds Noirs»

Grand sentimental, sous une apparence « macho », le « pôvre » Cagayous eut des déboires matrimoniaux l'obligeant à « casser la carte » en conclusion de torrides «baroufas».

Musette le « mobilisa » en 1914 et il dut quitter Alger «ousque le sang il est chaud plus milleur qu'en France » pour rejoindre le front. « Cagayous Poilu », paru en 1920 à Alger, fut la dernière de ses 15 grandes épopées.

L'étonnante « humanité » de Cagayous, c'était le petit monde qui l'entourait :

- Chicanelle : Sa sœur ; la fille-mère qui fait des monès (brioches au sucre)

- Scaragolète : Le petit à sa sœur ; « un foura-chaux de petit bâtard qui reste bourricot pourquoi y vas pas à l'école », était un bébé baveur « comme un scargot » d'où son surnom.

- Mademoiselle Theresine : « Qu'elle en pinçait pour lui » et qui deviendra, brièvement, son épouse. « Elle se tient le certificat d'études et l'épicerie de sa mère».

- Madame Solano : Sa belle-mère « Qu'après 35 ans à Alger pas même elle parle français » !

- Mecieu Hoc : Facteur en retraite... « qu'il aime bien parler dessur les autres »

- Boumatraque : Le Commissaire Central... « qu'un jour y s'a reçu un asting qui s'y a fermé l'œil ». (coup asséné par Cagayous...)

- Calcidone : Maltais « pêcheur des oursins que toujours y marche pieds nus ».

- Embrouilloun : Un naturalisé... « qui vous sort des saloperies en apolitain quant il perd la figure et qui s'a fait peler en jouant les cartes espagnoles vec les arabes ».

- Hachomoc : Le chevrier... « le petit à çuilà qui fait des fromadjos ».

- Mallard : « Qu'il a un cabanon à Sidi Ferruch »... et « que toutes les bêtes bonnes à manger qu'elles passent à côté elles viennent pas vieilles... »

- Le docteur : Ecrivain public... « y travaille la lettre alonyme pour les femmes... en cachette ».

- Zéro franc : « Pourquoi jamais il a le rond pour payer quand y vient son tour ».

- Caporal : Un fourachaux... « que jamais y s'attrape le bouchon en mangeant les figues de Barbarie pourquoi y connaît un truc : à chaque douzaine y s'enfile une boule de savon arabe ».

- Mateptache : « Soigisseur des pommes de terre »

- Tape à l'œil : « Mesloute » (dénué)

- Felisque : « Le fort ténor léger qui chante à le Café de la placette en face le marchand de loubia » et « qu'il est gentil... »

- Mecieu Lelaitier : «Avocat. Pour qui la justice elle est battel (gratis) mais ceuss là qui travaillent avec elle y marchent pas à l'œil... »

- Kouider : « Qu'il a fait agent de poulice et que maintenant y fabrique la koukra ».

- Cuila qu'il a la calotte jaune : Rentier endé-pendant ... lieutenant de Cagayous et un peu son rival...

- Gasparette : « Qu'un jour elle s'a ensauvé par en haut le jardin Marengo »

- Ugène le Louette : « Faiseur des commissions »

- Ramonette : « Escafandrier dedans le port... qui se répond plus des dettes qu'elle poudrait faire sa femme, ensauvée vec un oualliounne »

- Tonico : « Qu'à sa sœur y s'y a venu un enfant sans qu'on sait comment... et qui faut qu'on attend que le petit y se ressemble à quelqu'un pour s'arrêter le type et qui se marie ».

- Six-Dix : Garçon de café « Qui s'en est chia-dé de la fille à la Smina » (La grosse).

A cette brochette de « pas tristes » on peut ajouter : Zigolatche, Ouacco, Bacora, Boulitche, Coimbra, Facanal, Camalion, Pimiento, Mariquita, Fartasse, Fatoutche, Zamoun, Micalette, Cucurollo, Taouloun patron du battibatte, etc. qui apparaissent au gré des épisodes.

Auguste Robinet

musettessses.jpgAuguste Robinet, à l'instar de son héros Cagayous avait du caractère. Amateur de belles voitures, membre fondateur de « l'Automobile Club d'Alger », il eut sa superbe Salmson réquisitionnée au début de la guerre ; circulant en tramway, il reconnut un jour son véhicule en stationnement et s'empressa d'aller s'informer dans une boutique voisine ; il apprit ainsi que l'attributaire ne s'en servait que pour un aller- retour quotidien. Robinet s'installa illico au volant, fonça à la Préfecture et avisa l'autorité qu'il reprenait possession de son bien. « Son service des enfants assistés étant plus important que les commodités d'un employé statique ». L'affaire n'eut aucune suite. Robinet fut un des promoteurs de la Maternité de l'Hôpital de Mustapha.

Frappé d'hémiplégie, il s'éteignit le 1er septembre 1930. Selon sa volonté, il n'eut que le cortège de ses trois enfants pour l'accompagner au cimetière du Boulevard Bru.

D'après : Archives René Rostagny et : « Musette, publiciste Sociologue » de Max Lamouche.

J'ai retrouvé ce texte sur le site : http://babelouedstory.com/index.html. Je ne suis pas du tout d'accord avec leur manière de rappeler et de raconter "l'Algérie Française" mais Cagayouse parle bien de ce peuple Pataouète du début du XXème siècle à Bab-el-Oued et Alger.

 

Monument à la gloire d' Auguste Robinet dit "Musette"
le créateur de Cagayous.

 

musette.gif

Place Dutertre à La Basetta

07:35 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cagayous, pataouète, algérie, bab-el-oued

13 avril 2010

Que sont les rapatriés devenus ?

 

Que sont les rapatriés devenus ?

Il y a quelques jours, la centrale alimentant en produits frais notre petite supérette locale étant en grève, nous avons du nous résoudre à aller faire nos courses dans un supermarché, qui fut au moins lors de sa construction la plus grande surface d'Europe sur la commune de Vénissieux. La clientèle y est très cosmopolite mais, j'y reconnais toujours des petits couples âgés qui me paraissent bien labélisés rapatriés.

A la fin des années 60, nombreux étaient les artisans de bouche qui s'étaient réinstaller en France et qui proposaient, en exclusivité ou en complément des spécialités "Pieds-noirs".

Ce jours là, il me vint une envie : acheter de la Soubressade (je vous en parlerais une autre fois) et bien j'ai fait choux blanc !

Quelques Chorizos mais je n'en ai jamais mangé avant la métropole, mais toute cette fabuleuse charcuterie mahonnaise avait disparu des rayons. J'ai recueilli une adresse sur Villeurbanne mais je n'ai pas encore validé.

180px-Sobrassada_tendra_de_Menorca.jpg

 

Ma parole ! Mais ou vous êtes passés ?

On estime à 1 millions les rapatriés d'Algérie. 1,4 si l'on englobe les deux autres pays du Maghreb. C'était en 1962, il y a presque 50 ans.

Tous les rapatriés adultes ont donc au moins 70 ans et les enfants ayant l'âge de "raison" 60.

Je n'ai pas eu connaissance d'ostracisme dans la communauté "Chrétienne" (c'est peut-être moins le cas chez les "Juifs") donc les nouveaux couples ont mixé les origines et leurs enfants plutôt adopté les coutumes de leur région de naissance.

Un mois et une colo après mon retour, je parlais parigot, enfin presque. Le comportement outrancier et exubérant de certain d'entre nous, a incité la plupart à se démarquer. A se fondre dans la masse.

J'ai retrouvé plusieurs copains d'enfance pataouètes, ils m'ont tous dis avoir oublié leur naissance et adopté les us et coutumes de leur région de télé portage.

C'est peut-être ça l'intégration ...

Reste quelques vieux nostalgiques des années noires et quelques, presque aussi vieux, "Historiens" qui cherchent à remémorer les années bonheurs et à donner le contre sens des années noires.

 

220px-Butifarra_negra.jpg

 

 

07:34 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : algérie, soubressade

11 avril 2010

Lodi, le camp des oubliés Fermeture

 

Lodi, le camp des oubliés

Au cours de la guerre d'Algérie, des centaines de Français d'Algérie, sympathisants de l'indépendance, ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire pendant des années. Nathalie Funès, grâce à des archives inédites et des témoignages exprimés dans le Nouvel Obs pour la première fois, reconstitue cette page refoulée de l'histoire.

 

Le camp de Lodi a fermé ses grilles en octobre 1960

Le camp de Lodi a fermé ses grilles en octobre 1960. Au bout de cinq années de services. Il ne restait, alors, plus beaucoup de prisonniers. La plupart avaient était libérés avant l'été. «Quand le directeur m'a convoqué dans son bureau, raconte André Espi, militant communiste et ancien technicien des postes à Alger, il m'a annoncé, en même temps, ma libération et mon expulsion d'Algérie, comme beaucoup d'internés, avant moi. J'avais 48 heures pour quitter le pays. Avec deux gendarmes qui ne m'ont pas lâché d'une semelle jusqu'à ce que je monte dans le bateau pour Marseille". A quatre-vingt six ans, le vieil homme sort de son porte feuille ce souvenir qui ne le quitte jamais. Ce n'est pas la médaille, reçue pour avoir libéré la Normandie avec la 2ème DB. C'est son avis d'assignation à résidence au camp de Lodi.

Mon témoignage

Les première fois ou j'ai entendu parler de Lodi c'était à demi-mots par mes parents, qui rappelaient aussi que c'était la Colonie de vacance des fils de Cheminots, celle ou mon frère avait fait quelques séjours avant les "événements".

Mon deuxième souvenirs réside dans les "coufins" que mes parents allaient remplir au marché Clauzel pour que Mimi, la femme d'un copain interné, apportait d'Alger à Lodi lorsqu'elle allait rendre visite à Marcel.

Mon dernier réside en 2 noms : Lequément et Féménia, deux copains de mon père, cheminots internés à Lodi. Mimi et Marcel Lequément furent mes Modèles, mes guides jusqu'à que la vie leur échappe. Pour ce qui me concerne ils sont mes "Justes" d'Algérie.

 

Lequément paella.jpg

Paêlla Party chez Marcel et Mimi après l'indépendance

Je pleure mais suis très heureux d'avoir trouvé ce document et très heureux d'avoir pu vous faire partager cette histoire refoulée. Si vous avez des témoignages à nous faire partager, n'hésitez pas à me les communiquer !

 

10 avril 2010

Lodi, le camp des oubliés Conditions de rétention

 

Lodi, le camp des oubliés

Au cours de la guerre d'Algérie, des centaines de Français d'Algérie, sympathisants de l'indépendance, ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire pendant des années. Nathalie Funès, grâce à des archives inédites et des témoignages exprimés dans le Nouvel Obs pour la première fois, reconstitue cette page refoulée de l'histoire.

 

Conditions de détention

Lodi 2.jpgLes détenus sont entassés dans trois dortoirs, d'une cinquantaine de lits superposés, collés les uns aux autres. Dans ses rapports, le directeur du camp souligne régulièrement que la moyenne des 10 mètres cubes d'air par prisonnier est contraire à la "législation hospitalière", qui "prévoit un cubage triple". Et que "l'atmosphère confinée" présente "des risques (...) au cas où une simple épidémie de grippe se déclencherait", comme en 1957.

«A Lodi, la monotonie, l'attente vous tombaient dessus dès votre arrivée", se souvient-il aujourd'hui. Avec des journées qui semblent ne jamais devoir finir, à tourner en rond dans la cour. Des soirées, enfermés à double tour, dès 20 heures, entassés à cinquante par dortoir, dans les relents de sueur et de linge sale. Les visites des familles sont accordées au compte-goutte. Une seule petite heure par mois et toujours en présence d'un policier. Pour tuer l'ennui, les prisonniers improvisent des cours (français, russe, arabe, mécanique, histoire, rédaction...), bricolent des pièces de théâtre ("Knock" de Jules Romain, "Topaze" de Marcel Pagnol...), organisent des tournois de ping-pongs, de volley-ball, de pétanque, lisent et relisent les mêmes livres. Les lectures des internés sont surveillées comme le lait sur le feu. Le courrier personnel est épluché, la plupart des journaux bannis et les livres, soigneusement sélectionnés. Le directeur du service central des centres d'hébergement à Alger a interdit de séjour à Lodi "Le deuxième sexe" de Simone de Beauvoir, "La peste" d'Albert Camus, "La tête des autres" de Marcel Aymé et "Les grande familles" de Maurice Druon. Même les rapports bimensuels du directeur du centre sont répétitifs. Avec, toujours les mêmes commentaires mois après mois. "L'insuffisance des rations alimentaires" dont se plaignent les prisonniers, le froid qui sévit, alors qu'il n'y a "que des couvertures en coton", le surpeuplement ("je vous serais en conséquence obligé de faire diriger les nouveaux hébergés éventuels sur d'autres centres"), l'eau des douches "à peine tiède"...

 

Les années filent

Durant ses cinq années d'activité, le camp est resté à effectif constant d'environ 150 internés. "Lodi était l'endroit où les prisonniers étaient le moins mal traités", rappelle l'historien Jean-Luc Einaudi. Les autorités ont fait plus attention, en raison de la présence de Français. Juste avant la fermeture, un groupe d'Algériens les a rejoints.

 

Lodi 4.jpg

L'Algérie s'embourbe dans la guerre, les années filent, les internés croupissent dans l'indifférence. La plupart des Français ignorent l'existence de ces camps. Les protestations se comptent sur les doigts d'une main. Le Comité international de la Croix Rouge se rend à Lodi, à deux reprises, pour quelques heures, envoie des vêtements et des jeux. Une délégation du Comité anti-concentrationnaire, présidé par David Rousset, ancien déporté à Buchenwald, et auteur de «L'univers concentrationnaire" fait l'aller-retour pour le camp. La Fédération Nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, s'indigne aussi. Dans un courrier de décembre 1956, elle proteste «contre l'arrestation d'un certain nombre de rescapés des camps" nazis et demande "leur libération". Peine perdue. La missive adressée à Robert Lacoste, ministre résidant en Algérie, lui-même ancien résistant, se perd dans les piles de paperasses. Ceux qui ont connu les camps de la seconde guerre mondiale sont pourtant des dizaines à Lodi. D'anciens prisonniers de guerre comme Fernand Doukhan, instituteur à Bab El Oued et militant anarchiste, arrêté pendant la bataille d'Alger parce qu'il avait fait grève à l'appel du FLN et qui a déjà subi, cinq années durant, les stalags de Ludwigsberg et de Baden Baden. Il y a aussi beaucoup d'anciens résistants. Parmi eux, Jean Farrugia, plombier-zingueur, ancien membre de l'armée clandestine des FFI (Forces françaises de l'intérieur) déporté à Dachau. Quelques mois après son arrivée à Lodi, un camion bourré à craquer de militaires vient le chercher. «Ce n'était pas la première fois qu'un véhicule de l'armée débarquait de cette façon, se souvient Paul Amar, 82 ans, ancien journaliste du quotidien Alger Républicain (proche du Parti communiste algérien et interdit en septembre 1955), resté "trois ans et sept mois" à Lodi. Farrugia a tout de suite compris que c'était pour lui et qu'il allait être torturé". Il part se cacher dans un grenier. Au bout de deux jours, sa "planque" est découverte.

"Farrugia a été " repris". Et d'autres encore après lui. C'est à mon arrivée à Lodi, durant l'été 1957, que j'ai décidé d'écrire "La question", raconte Henri Alleg, 89 ans, ancien directeur d'Alger Républicain. Je venais de quitter le centre militaire d'El Biar, où j'avais été torturé par les parachutistes de la 10ème DP. Au moment où j'allais monter dans le camion, le capitaine avait lâché : "Je vous reprendrai". Briser le silence était le seul moyen pour empêcher que cela continue encore et encore, pour que cessent les coups et la gégène». Henri Alleg retrouve, cet été là, ses anciens collaborateurs d'Alger Républicain, (Paul Amar, Jean-Pierre Saïd, Roland Rhaïs, Vincent Ivorra...), tous arrêtés avant lui. Il consacre ses journées à raconter, "d'une écriture la plus serrée possible", les sévices endurés à El Biar. Avec les noms de ses tortionnaires indiqués noir sur blanc. La lettre de cinq pages, rédigée sous la forme d'une plainte adressée au procureur d'Alger, et recopiée en plusieurs exemplaires, parvient à sortir du camp, dans les sacs à main des épouses des prisonniers et arrive jusqu'à Paris. Les rédactions de l'Humanité et de Libération la publient de la première à la dernière ligne. C'est dans sa cellule de la prison algéroise de Barberousse, où il est incarcéré un mois plus tard, qu'Henri Alleg met le point final à "La question". Le livre, très vite saisi, paraît le 12 février 1958 aux Editions de Minuit et révèle, enfin, au grand jour, les méthodes des geôles militaires en Algérie.

Les camps se sont développés en marge de la justice

"Les camps se sont développés en marge de la justice", résume l'historienne Sylvie Thénault, auteur d' «Une drôle de justice" (Editions La découverte). Les non lieux, les sursis, les acquittements et les libérations ne répondaient pas aux exigences de la répression. Il fallait interner ceux qui risquaient de ne jamais être condamnés mais aussi ceux qui ne l'avaient pas été suffisamment. Les militaires et les policiers étaient prévenus quand les prisons relâchaient un détenu et le cueillaient à sa sortie". C'est ce qui est arrivé à Pierre Cots, 78 ans, ancien responsable des ventes à Alger Républicain, militant communiste et indépendantiste. Le premier régiment des parachutistes étrangers était venu l'arrêter une nuit de mars 1957, chez ses parents, à Bab El Oued. Il dormait profondément et avait ouvert la porte machinalement. Il s'était retrouvé avec une mitraillette dans le ventre et une cagoule sur la tête sans avoir le temps de dire un mot. Simulacres d'exécution, coups de matraque, gégène, la tête sous l'eau jusqu'à l'évanouissement... Pierre Cots avait eu droit à toutes les techniques, tristement célèbres, du centre de torture des paras de la Villa Susini. Avant d'être condamné à 20 mois de prison pour atteinte à la sûreté de l'Etat. "Une fois purgée ma peine à Maison Carrée, je prends mes affaires et j'attends pour sortir, enfin libre, raconte-t-il. Une heure se passe, deux heures, l'après-midi, la soirée. Le couvre-feu tombe, les gardiens me disent : tu ne peux pas rentrer seul chez toi, une escorte va te ramener. Des policiers sont bien venus me chercher. Mais ils m'ont emmené dans un premier commissariat, puis dans un deuxième, puis au camp de Beni Messous, puis à Lodi. J'y ai encore passé un an et demi".

 

09 avril 2010

Lodi, le camp des oubliés Arrestations

 

Lodi, le camp des oubliés

Au cours de la guerre d'Algérie, des centaines de Français d'Algérie, sympathisants de l'indépendance, ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire pendant des années. Nathalie Funès, grâce à des archives inédites et des témoignages exprimés dans le Nouvel Obs pour la première fois, reconstitue cette page refoulée de l'histoire.

 

Arrestations de l'ancien Maire communiste de Sidi bel Abbès

René Justrabo, 93 ans, se souvient du jour où on est venu le chercher. C'était le 26 novembre 1956. Ils sont arrivés à l'aube, dans la lumière d'automne qui filtre à travers les volets. Au moment où la ville s'éveille doucement. "Police ! Ouvrez !». Le commissaire du 8ème arrondissement d'Alger a surgi, deux inspecteurs sur les talons, un papier dans la main droite. "Vous êtes bien René Justrabo, né le 15 juin 1917 à Mascara ? Vous êtes en état d'arrestation. Voici votre avis d'assignation à résidence». Il n'y a que quelques mots : "atteinte à la sécurité et à l'ordre public", signés du Préfet d'Alger. Cela fait plusieurs jours, déjà, que la police et l'armée raflent, les uns après les autres, les anciens membres du Parti communiste algérien (PCA). Suspect d'être trop proche des indépendantistes, il a été dissout en septembre 1955. Alger est devenu une souricière. René Justrabo, 39 ans, ancien maire communiste de Sidi Bel Abbès, sait que son tour va bientôt arriver. Il s'apprête à sauter dans le bus bondé qui le conduit, chaque jour, des hauteurs d'Alger, où il habite, au quartier de Belcourt, où il est instituteur. Mais c'est dans un camion militaire à deux bancs qu'il grimpe finalement. Poussé comme un vulgaire délinquant. Destination : le camp de Lodi. Il y restera enfermé trois ans et demi.

 

Albert Smaja, ancien du Barreau d'Alger

Le plus dur ? Nous ne savions absolument pas quand nous allions sortir, raconte Albert Smadja, 82 ans, ancien du barreau d'Alger. Dans un an ? Deux ans, trois ans, plus longtemps encore ? Nous avions laissé des femmes et des enfants, qui n'avaient plus un sou. Certains d'entre nous étaient malades, handicapés, âgés... Et nous n'avions aucune idée du sort qui nous était réservé». Albert Smadja est arrêté le 13 février 1957. Deux jours après l'exécution de son client Fernand Yveton, guillotiné à la prison algéroise de Barberousse, pour avoir tenté, en vain, de faire sauter une bombe. Ce jour là, l'avocat doit rendre à la famille un sac d'affaires personnelles, récupéré à la prison. Les policiers l'attendent à son domicile, rue Jean Jaurès, dans le quartier de Bal El Oued, à Alger. Ils veulent lui passer les menottes. Albert Smadja refuse. "D'accord, grogne un responsable, mais s'il bouge : une balle dans la peau". Il restera détenu presque deux ans à Lodi.

 

Mai 1958

 

Lodi.jpg

Massés derrière les grilles, dans la cour principale, les internés assistent en cette année 1959 à l'arrivée d'un nouveau convoi de prisonniers à Lodi. Sous administration de la police, le centre était gardé par une vingtaine de gendarmes et parfois des CRS, dans les périodes les plus tendues de la guerre d'Algérie.

Le directeur a son costume sombre et son air des mauvais jours. Il a convoqué les prisonniers, les uns après les autres, dans la cours centrale, sous le soleil ardant de ce mois de mai 1958. Des nouvelles viennent d'arriver d'Alger. Là bas, à une demi journée de route en voiture, par les gorges de la Chiffa et le ruisseau des singes, autant dire à l'autre bout du monde, des milliers de manifestants ont forcé les grilles du gouvernement et investi le grand bâtiment blanc. Le général Massu a formé un Comité de salut public. La foule, hurlante, des hommes, des femmes, des gamins, des vieillards, est massée sur le Forum. Aux cris de "Vive l'Algérie française !", "Non à l'indépendance"... Et puis, il y a eu ces slogans, qui ont résonné, venant des groupes les plus agités : "En route ! Tous à Lodi !". La guerre est en train de prendre un nouveau chemin. Un car de CRS va bientôt arriver de la capitale, pour renforcer la surveillance du camp. Mais en attendant, la consigne est claire : "Interdiction de sortir des dortoirs". Les internés, la chemise chiffonnée, le menton, mal rasé, écoutent sans se faire d'illusions. Ils ne donnent pas cher de leur peau si les ultras de l'Algérie française débarquent, les armes à la main. Eux qui sont enfermés ici, parce que suspects, à tord ou à raison, d'être favorables à l'indépendance. Aujourd'hui, cela fait quarante-huit ans, jour pour jour (le 18 mars 1962), que la signature des accords d'Evian a mis fin à la guerre d'Algérie. Mais l'histoire des internés de Lodi n'a toujours pas été racontée.