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09 avril 2010

Lodi, le camp des oubliés Arrestations

 

Lodi, le camp des oubliés

Au cours de la guerre d'Algérie, des centaines de Français d'Algérie, sympathisants de l'indépendance, ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire pendant des années. Nathalie Funès, grâce à des archives inédites et des témoignages exprimés dans le Nouvel Obs pour la première fois, reconstitue cette page refoulée de l'histoire.

 

Arrestations de l'ancien Maire communiste de Sidi bel Abbès

René Justrabo, 93 ans, se souvient du jour où on est venu le chercher. C'était le 26 novembre 1956. Ils sont arrivés à l'aube, dans la lumière d'automne qui filtre à travers les volets. Au moment où la ville s'éveille doucement. "Police ! Ouvrez !». Le commissaire du 8ème arrondissement d'Alger a surgi, deux inspecteurs sur les talons, un papier dans la main droite. "Vous êtes bien René Justrabo, né le 15 juin 1917 à Mascara ? Vous êtes en état d'arrestation. Voici votre avis d'assignation à résidence». Il n'y a que quelques mots : "atteinte à la sécurité et à l'ordre public", signés du Préfet d'Alger. Cela fait plusieurs jours, déjà, que la police et l'armée raflent, les uns après les autres, les anciens membres du Parti communiste algérien (PCA). Suspect d'être trop proche des indépendantistes, il a été dissout en septembre 1955. Alger est devenu une souricière. René Justrabo, 39 ans, ancien maire communiste de Sidi Bel Abbès, sait que son tour va bientôt arriver. Il s'apprête à sauter dans le bus bondé qui le conduit, chaque jour, des hauteurs d'Alger, où il habite, au quartier de Belcourt, où il est instituteur. Mais c'est dans un camion militaire à deux bancs qu'il grimpe finalement. Poussé comme un vulgaire délinquant. Destination : le camp de Lodi. Il y restera enfermé trois ans et demi.

 

Albert Smaja, ancien du Barreau d'Alger

Le plus dur ? Nous ne savions absolument pas quand nous allions sortir, raconte Albert Smadja, 82 ans, ancien du barreau d'Alger. Dans un an ? Deux ans, trois ans, plus longtemps encore ? Nous avions laissé des femmes et des enfants, qui n'avaient plus un sou. Certains d'entre nous étaient malades, handicapés, âgés... Et nous n'avions aucune idée du sort qui nous était réservé». Albert Smadja est arrêté le 13 février 1957. Deux jours après l'exécution de son client Fernand Yveton, guillotiné à la prison algéroise de Barberousse, pour avoir tenté, en vain, de faire sauter une bombe. Ce jour là, l'avocat doit rendre à la famille un sac d'affaires personnelles, récupéré à la prison. Les policiers l'attendent à son domicile, rue Jean Jaurès, dans le quartier de Bal El Oued, à Alger. Ils veulent lui passer les menottes. Albert Smadja refuse. "D'accord, grogne un responsable, mais s'il bouge : une balle dans la peau". Il restera détenu presque deux ans à Lodi.

 

Mai 1958

 

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Massés derrière les grilles, dans la cour principale, les internés assistent en cette année 1959 à l'arrivée d'un nouveau convoi de prisonniers à Lodi. Sous administration de la police, le centre était gardé par une vingtaine de gendarmes et parfois des CRS, dans les périodes les plus tendues de la guerre d'Algérie.

Le directeur a son costume sombre et son air des mauvais jours. Il a convoqué les prisonniers, les uns après les autres, dans la cours centrale, sous le soleil ardant de ce mois de mai 1958. Des nouvelles viennent d'arriver d'Alger. Là bas, à une demi journée de route en voiture, par les gorges de la Chiffa et le ruisseau des singes, autant dire à l'autre bout du monde, des milliers de manifestants ont forcé les grilles du gouvernement et investi le grand bâtiment blanc. Le général Massu a formé un Comité de salut public. La foule, hurlante, des hommes, des femmes, des gamins, des vieillards, est massée sur le Forum. Aux cris de "Vive l'Algérie française !", "Non à l'indépendance"... Et puis, il y a eu ces slogans, qui ont résonné, venant des groupes les plus agités : "En route ! Tous à Lodi !". La guerre est en train de prendre un nouveau chemin. Un car de CRS va bientôt arriver de la capitale, pour renforcer la surveillance du camp. Mais en attendant, la consigne est claire : "Interdiction de sortir des dortoirs". Les internés, la chemise chiffonnée, le menton, mal rasé, écoutent sans se faire d'illusions. Ils ne donnent pas cher de leur peau si les ultras de l'Algérie française débarquent, les armes à la main. Eux qui sont enfermés ici, parce que suspects, à tord ou à raison, d'être favorables à l'indépendance. Aujourd'hui, cela fait quarante-huit ans, jour pour jour (le 18 mars 1962), que la signature des accords d'Evian a mis fin à la guerre d'Algérie. Mais l'histoire des internés de Lodi n'a toujours pas été racontée.

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