Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10 avril 2010

Lodi, le camp des oubliés Conditions de rétention

 

Lodi, le camp des oubliés

Au cours de la guerre d'Algérie, des centaines de Français d'Algérie, sympathisants de l'indépendance, ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire pendant des années. Nathalie Funès, grâce à des archives inédites et des témoignages exprimés dans le Nouvel Obs pour la première fois, reconstitue cette page refoulée de l'histoire.

 

Conditions de détention

Lodi 2.jpgLes détenus sont entassés dans trois dortoirs, d'une cinquantaine de lits superposés, collés les uns aux autres. Dans ses rapports, le directeur du camp souligne régulièrement que la moyenne des 10 mètres cubes d'air par prisonnier est contraire à la "législation hospitalière", qui "prévoit un cubage triple". Et que "l'atmosphère confinée" présente "des risques (...) au cas où une simple épidémie de grippe se déclencherait", comme en 1957.

«A Lodi, la monotonie, l'attente vous tombaient dessus dès votre arrivée", se souvient-il aujourd'hui. Avec des journées qui semblent ne jamais devoir finir, à tourner en rond dans la cour. Des soirées, enfermés à double tour, dès 20 heures, entassés à cinquante par dortoir, dans les relents de sueur et de linge sale. Les visites des familles sont accordées au compte-goutte. Une seule petite heure par mois et toujours en présence d'un policier. Pour tuer l'ennui, les prisonniers improvisent des cours (français, russe, arabe, mécanique, histoire, rédaction...), bricolent des pièces de théâtre ("Knock" de Jules Romain, "Topaze" de Marcel Pagnol...), organisent des tournois de ping-pongs, de volley-ball, de pétanque, lisent et relisent les mêmes livres. Les lectures des internés sont surveillées comme le lait sur le feu. Le courrier personnel est épluché, la plupart des journaux bannis et les livres, soigneusement sélectionnés. Le directeur du service central des centres d'hébergement à Alger a interdit de séjour à Lodi "Le deuxième sexe" de Simone de Beauvoir, "La peste" d'Albert Camus, "La tête des autres" de Marcel Aymé et "Les grande familles" de Maurice Druon. Même les rapports bimensuels du directeur du centre sont répétitifs. Avec, toujours les mêmes commentaires mois après mois. "L'insuffisance des rations alimentaires" dont se plaignent les prisonniers, le froid qui sévit, alors qu'il n'y a "que des couvertures en coton", le surpeuplement ("je vous serais en conséquence obligé de faire diriger les nouveaux hébergés éventuels sur d'autres centres"), l'eau des douches "à peine tiède"...

 

Les années filent

Durant ses cinq années d'activité, le camp est resté à effectif constant d'environ 150 internés. "Lodi était l'endroit où les prisonniers étaient le moins mal traités", rappelle l'historien Jean-Luc Einaudi. Les autorités ont fait plus attention, en raison de la présence de Français. Juste avant la fermeture, un groupe d'Algériens les a rejoints.

 

Lodi 4.jpg

L'Algérie s'embourbe dans la guerre, les années filent, les internés croupissent dans l'indifférence. La plupart des Français ignorent l'existence de ces camps. Les protestations se comptent sur les doigts d'une main. Le Comité international de la Croix Rouge se rend à Lodi, à deux reprises, pour quelques heures, envoie des vêtements et des jeux. Une délégation du Comité anti-concentrationnaire, présidé par David Rousset, ancien déporté à Buchenwald, et auteur de «L'univers concentrationnaire" fait l'aller-retour pour le camp. La Fédération Nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, s'indigne aussi. Dans un courrier de décembre 1956, elle proteste «contre l'arrestation d'un certain nombre de rescapés des camps" nazis et demande "leur libération". Peine perdue. La missive adressée à Robert Lacoste, ministre résidant en Algérie, lui-même ancien résistant, se perd dans les piles de paperasses. Ceux qui ont connu les camps de la seconde guerre mondiale sont pourtant des dizaines à Lodi. D'anciens prisonniers de guerre comme Fernand Doukhan, instituteur à Bab El Oued et militant anarchiste, arrêté pendant la bataille d'Alger parce qu'il avait fait grève à l'appel du FLN et qui a déjà subi, cinq années durant, les stalags de Ludwigsberg et de Baden Baden. Il y a aussi beaucoup d'anciens résistants. Parmi eux, Jean Farrugia, plombier-zingueur, ancien membre de l'armée clandestine des FFI (Forces françaises de l'intérieur) déporté à Dachau. Quelques mois après son arrivée à Lodi, un camion bourré à craquer de militaires vient le chercher. «Ce n'était pas la première fois qu'un véhicule de l'armée débarquait de cette façon, se souvient Paul Amar, 82 ans, ancien journaliste du quotidien Alger Républicain (proche du Parti communiste algérien et interdit en septembre 1955), resté "trois ans et sept mois" à Lodi. Farrugia a tout de suite compris que c'était pour lui et qu'il allait être torturé". Il part se cacher dans un grenier. Au bout de deux jours, sa "planque" est découverte.

"Farrugia a été " repris". Et d'autres encore après lui. C'est à mon arrivée à Lodi, durant l'été 1957, que j'ai décidé d'écrire "La question", raconte Henri Alleg, 89 ans, ancien directeur d'Alger Républicain. Je venais de quitter le centre militaire d'El Biar, où j'avais été torturé par les parachutistes de la 10ème DP. Au moment où j'allais monter dans le camion, le capitaine avait lâché : "Je vous reprendrai". Briser le silence était le seul moyen pour empêcher que cela continue encore et encore, pour que cessent les coups et la gégène». Henri Alleg retrouve, cet été là, ses anciens collaborateurs d'Alger Républicain, (Paul Amar, Jean-Pierre Saïd, Roland Rhaïs, Vincent Ivorra...), tous arrêtés avant lui. Il consacre ses journées à raconter, "d'une écriture la plus serrée possible", les sévices endurés à El Biar. Avec les noms de ses tortionnaires indiqués noir sur blanc. La lettre de cinq pages, rédigée sous la forme d'une plainte adressée au procureur d'Alger, et recopiée en plusieurs exemplaires, parvient à sortir du camp, dans les sacs à main des épouses des prisonniers et arrive jusqu'à Paris. Les rédactions de l'Humanité et de Libération la publient de la première à la dernière ligne. C'est dans sa cellule de la prison algéroise de Barberousse, où il est incarcéré un mois plus tard, qu'Henri Alleg met le point final à "La question". Le livre, très vite saisi, paraît le 12 février 1958 aux Editions de Minuit et révèle, enfin, au grand jour, les méthodes des geôles militaires en Algérie.

Les camps se sont développés en marge de la justice

"Les camps se sont développés en marge de la justice", résume l'historienne Sylvie Thénault, auteur d' «Une drôle de justice" (Editions La découverte). Les non lieux, les sursis, les acquittements et les libérations ne répondaient pas aux exigences de la répression. Il fallait interner ceux qui risquaient de ne jamais être condamnés mais aussi ceux qui ne l'avaient pas été suffisamment. Les militaires et les policiers étaient prévenus quand les prisons relâchaient un détenu et le cueillaient à sa sortie". C'est ce qui est arrivé à Pierre Cots, 78 ans, ancien responsable des ventes à Alger Républicain, militant communiste et indépendantiste. Le premier régiment des parachutistes étrangers était venu l'arrêter une nuit de mars 1957, chez ses parents, à Bab El Oued. Il dormait profondément et avait ouvert la porte machinalement. Il s'était retrouvé avec une mitraillette dans le ventre et une cagoule sur la tête sans avoir le temps de dire un mot. Simulacres d'exécution, coups de matraque, gégène, la tête sous l'eau jusqu'à l'évanouissement... Pierre Cots avait eu droit à toutes les techniques, tristement célèbres, du centre de torture des paras de la Villa Susini. Avant d'être condamné à 20 mois de prison pour atteinte à la sûreté de l'Etat. "Une fois purgée ma peine à Maison Carrée, je prends mes affaires et j'attends pour sortir, enfin libre, raconte-t-il. Une heure se passe, deux heures, l'après-midi, la soirée. Le couvre-feu tombe, les gardiens me disent : tu ne peux pas rentrer seul chez toi, une escorte va te ramener. Des policiers sont bien venus me chercher. Mais ils m'ont emmené dans un premier commissariat, puis dans un deuxième, puis au camp de Beni Messous, puis à Lodi. J'y ai encore passé un an et demi".

 

Commentaires

j'ai reconnu mon grand-père (antoine caruana) au 2 ème rang à droite chemises blanche.

Écrit par : carruana | 17 mars 2012

j'ai reconnu mon grand-père (antoine caruana) au 2 ème rang à droite chemises blanche.

Écrit par : caruana | 17 mars 2012

Les commentaires sont fermés.