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29 novembre 2010

Le putsch des Généraux du 23 avril 1961

Le putsch des Généraux du 23 avril 1961, également appelé putsch d'Alger, est une tentative de coup d'État, fomentée par une partie des militaires de carrière de l'armée française en Algérie, et conduite par quatre généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller). Ils déclenchèrent cette opération en réaction contre la politique du président de la République, le général de Gaulle, et de son gouvernement, qu'ils considéraient comme une politique d'abandon de l'Algérie française. Le général Raoul Salan a été invoqué par les putschistes, mais, si celui-ci n'a pas désapprouvé une telle méthode, il n'avait pas pour autant été informé des préparatifs par les comploteurs.

Contexte

Le 8 janvier 1961, par un référendum sur l'autodétermination en Algérie organisé en métropole, les Français s'étaient prononcés en majorité en faveur de l'autodétermination. C'est alors que des négociations secrètes avaient été ouvertes entre le gouvernement français de Michel Debré et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) lié au Front de libération nationale. Une partie des cadres de l'armée, qui avaient mené sept années de durs combats sous la direction de plusieurs gouvernements depuis le début de la Guerre d'Algérie, se sentit trahie par le pouvoir parisien, par le général de Gaulle, et voulut s'opposer ainsi aux projets d'indépendance de l'Algérie. Le pouvoir gaulliste était bien informé depuis plusieurs mois par la police judiciaire d'Alger et les services de renseignements des intentions de certains militaires. L'année précédente, le 25 janvier 1960, pendant la semaine des barricades, le colonel Antoine Argoud s'était même entretenu avec Michel Debré pour demander un changement de politique, faute de quoi « une junte de colonels » renverserait le gouvernement pour maintenir l'Algérie comme territoire français. La tension étant montée tout au long de l'année 1960, une possibilité de coup d'État est alors dans tous les esprits en particulier au printemps 1961.

Déroulement

SalanChalleJouhaudZeller.jpg

Vendredi 21 avril

Le 21 avril 1961, les généraux en retraite Raoul Salan, André Zeller, Maurice Challe et Edmond Jouhaud, secondés par les colonels Antoine Argoud, Jean Gardes, ainsi que Joseph Ortiz et Jean-Jacques Susini, prennent le contrôle d'Alger. Challe y critique alors la « trahison et les mensonges » du gouvernement envers les Algériens qui lui ont fait confiance, et annonce que :

    « le commandement réserve ses droits pour étendre son action à la métropole et reconstituer un ordre constitutionnel et républicain gravement compromis par un gouvernement dont l'illégalité éclate aux yeux de la nation. »

Dans la nuit, le 1er régiment étranger de parachutistes (REP) sous les ordres du commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, commandant par intérim du régiment, s’empare en trois heures des points stratégiques d'Alger, notamment du Gouvernement général d'Alger, de l’hôtel de ville et de l’aéroport d'Alger. Les chances de réussite sont toutefois minces, car le 1er REP ne représente que 1 000 hommes, soit à peine 0,3 % des effectifs militaires français présents en Algérie. Le coup n'est pas suffisamment préparé pour rallier d'autres régiments ou les fonctionnaires civils (policiers, administration préfectorale).

Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, et le directeur de la Sûreté nationale, montent une cellule de crise dans un salon de la Comédie-Française, où le général de Gaulle assiste à une présentation de Britannicus. Le chef de l'État est informé pendant l'entracte par Jacques Foccart, secrétaire général aux Affaires africaines et malgaches, son plus proche collaborateur.

Samedi 22 avril

La population d'Alger apprend à 7 heures du matin, par un message lu à la radio que « l'armée a pris le contrôle de l’Algérie et du Sahara ». Les trois généraux rebelles, Maurice Challe, Edmond Jouhaud, et André Zeller, en accord avec les colonels Godart, Argoud et Lacheroy, font arrêter le délégué général du gouvernement, Jean Morin, le ministre des transports, Robert Buron, qui se trouvait en voyage, et un certain nombre d’autorités civiles et militaires. Quelques régiments se mettent sous les ordres des généraux.

À Paris, la police arrête dans la matinée le général Jacques Faure, six autres officiers et quelques civils. Lors du Conseil des ministres à 17 heures, de Gaulle, serein, déclare : « Ce qui est grave dans cette affaire, messieurs, c’est qu’elle n’est pas sérieuse ». L’état d’urgence est décrété en Algérie. Les partis de gauche, les syndicats et la Ligue des droits de l’homme appellent à manifester « l’opposition des travailleurs et des démocrates au coup de force d’Alger ».

Vers 19h, Challe s’exprime à la radio d’Alger :

    « Je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud, et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment, le serment de l’armée de garder l’Algérie pour que nos morts ne soient pas morts pour rien. Un gouvernement d’abandon […] s’apprête aujourd’hui à livrer définitivement l’Algérie à l’organisation extérieure de la rébellion. […] L’armée ne faillira pas à sa mission et les ordres que je vous donnerai n’auront jamais d’autres buts. »

Dimanche 23 avril

Salan arrive d’Espagne. Challe, de plus en plus isolé, refuse d’armer les activistes civils.

À 20 heures, le président Charles de Gaulle, vêtu de son ancien uniforme de général, paraît à la télévision, et prononce un discours appelant les soldats d'Algérie, les Français, d'Algérie ou de métropole, à refuser le coup d'État ; il informe également des mesures qu'il prend :

    « Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire. Les coupables de l'usurpation ont exploité la passion des cadres de certaines unités spécialisées, l'adhésion enflammée d'une partie de la population de souche européenne qu'égarent les craintes et les mythes, l'impuissance des responsables submergés par la conjuration militaire. Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d'officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire expéditif et limité. Mais ils ne voient et ne comprennent la nation et le monde que déformés à travers leur frénésie. Leur entreprise conduit tout droit à un désastre national. Car l'immense effort de redressement de la France, entamé depuis le fond de l'abîme, le 18 juin 1940 ; mené ensuite jusqu'à ce qu'en dépit de tout la victoire fût remportée, l'Indépendance assurée, la République restaurée ; repris depuis trois ans, afin de refaire l'État, de maintenir l'unité nationale, de reconstituer notre puissance, de rétablir notre rang au dehors, de poursuivre notre œuvre outre-mer à travers une nécessaire décolonisation, tout cela risque d'être rendu vain, à la veille même de la réussite, par l'aventure odieuse et stupide des insurgés en Algérie. Voici l'État bafoué, la nation défiée, notre puissance ébranlée, notre prestige international abaissé, notre place et notre rôle en Afrique compromis. Et par qui ? Hélas ! hélas ! hélas ! par des hommes dont c'était le devoir, l'honneur. La raison d'être de servir et d'obéir. Au nom de la France, j'ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J'interdis à tout Français et, d'abord, à tout soldat d'exécuter aucun de leurs ordres. L'argument suivant lequel il pourrait être localement nécessaire d'accepter leur commandement, sous prétexte d'obligations opérationnelles ou administratives, ne saurait tromper personne. Les seuls chefs, civils et militaires, qui aient le droit d'assumer les responsabilités sont ceux qui ont été régulièrement nommés pour cela et que, précisément, les insurgés empêchent de le faire. L'avenir des usurpateurs ne doit être que celui que leur destine la rigueur des lois. Devant le malheur qui plane sur la Patrie et la menace qui pèse sur la République, ayant pris l'avis officiel du Conseil constitutionnel, du Premier ministre, du Président du Sénat, du Président de l'Assemblée nationale, j'ai décidé de mettre en œuvre l'article 16 de notre Constitution. A partir d'aujourd'hui, je prendrai, au besoin directement, les mesures qui me paraîtront exigées par les circonstances. Par là même, je m'affirme, pour aujourd'hui et pour demain, en la légitimité française et républicaine que la nation m'a conférée, que je maintiendrai, quoi qu'il arrive jusqu'au terme de mon mandat ou jusqu'à ce que me manquent soit les forces, soit la vie, et dont je prendrai les moyens d'assurer qu'elle demeure après moi. Françaises, Français ! Voyez où risque d'aller la France par rapport à ce qu'elle était en train de redevenir. Françaises, Français ! Aidez-moi !

Conformément à l'article 16 de la Constitution de la Cinquième République française, le général de Gaulle se saisit alors des pleins pouvoirs.

« Cinq cent mille gaillards munis de transistors », comme dira le général de Gaulle à propos du contingent, ont entendu son appel à la désobéissance légitime, et de nombreux appelés refusèrent d’exécuter les ordres des officiers rebelles.

À 00 h 45, le premier ministre Michel Debré apparaît à la télévision et appelle la population à se rendre sur les aéroports « à pied ou en voiture », « dès que les sirènes retentiront », pour « convaincre les soldats engagés trompés de leur lourde erreur » et repousser les putschistes : on s'attendait en effet à des parachutages ou des atterrissages de troupes factieuses sur les aéroports. Mais la consigne lancée par Debré dans son affolement aurait risqué, si elle avait été suivie, d'encombrer les voies conduisant aux aérodromes, et de gêner davantage la riposte des forces de l'ordre que les parachutistes factieux.

Des volontaires, anciens de la France libre et jeunes gaullistes de gauche (UDT), se rassemblèrent dès le lundi matin à Paris, au Petit Palais, pour soutenir militairement de Gaulle, mais, contrairement à une légende, il ne semble pas que des armes leur aient été distribuées. Quant aux syndicats ils décidèrent pour le lendemain une grève générale d’une heure qui fut fortement suivie.

Selon le journaliste Pierre Abramovici et le politologue Gabriel Périès dans leur livre La Grande Manipulation, les putschistes n'avaient pas les moyens d'envoyer des parachutistes à Paris, car les avions de transport de troupe étaient trop peu nombreux et incapables de transporter des véhicules. Le gouvernement connaissait cette faiblesse, mais, d'un autre côté, n'était pas sûr du loyalisme absolu des cadres d'active de métropole.

Lundi 24 avril

Le député Chérif Sid Cara, lui-même putschiste en 1958, en tant que président du conseil général d'Oran, publie avec vingt autres conseillers généraux un communiqué de soutien le 24 avril 1961 aux putschistes. Ils y « saluent avec ferveur l’aube d’une Algérie définitivement française, gage évident d’une fraternité réelle...», et « ...présentent l’hommage profondément ému de leur reconnaissance à l’armée française et à ses chefs dont ils se déclarent totalement solidaires...».

Mardi 25 avril

Les généraux putschistes se font acclamer une dernière fois.

Le gouvernement français ordonne la mise à feu de la quatrième bombe pour des essais nucléaires à Reggane (Gerboise verte) afin que l'engin nucléaire ne puisse tomber dans les mains des généraux putschistes.

Mercredi 26 avril

Progressivement, les troupes ayant suivi les généraux se rendent. Les insurgés se retirent avec les parachutistes à Zéralda à 30 km d’Alger. Le commandant Denoix de Saint-Marc, qui avait le premier suivi les généraux, se constitue prisonnier. Le général Challe se rend aux autorités (il est aussitôt transféré en métropole). Le putsch a échoué, mais l'article 16 reste en vigueur pendant cinq mois pour éviter tout nouveau soulèvement.

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Procès et amnisties

Le Haut Tribunal militaire condamne Challe et André Zeller à 15 ans de réclusion. Ils sont amnistiés et réintégrés dans leurs dignités militaires cinq ans plus tard. Salan et Jouhaud s'enfuient, avant d'être arrêtés et condamnés, le premier à la détention à perpétuité, et le second, qui était natif d'Algérie, à la peine de mort (qui fut ensuite commuée). Les partisans acharnés de l’Algérie française entrent dans l’action clandestine avec l’Organisation armée secrète (OAS). Salan et Jouhaud en prennent la tête avec Jean-Jacques Susini. Les condamnations pénales sont effacées par la loi d'amnistie de juillet 1968.

Les généraux putschistes encore vivants sont réintégrés dans l'armée (corps de réserve) en novembre 1982, par une loi d'amnistie. Il s'agit de Raoul Salan et de Edmond Jouhaud, ainsi que six généraux ayant joué des rôles moins importants :

    * Pierre-Marie Bigot, 73 ans, ancien commandant de la région aérienne d’Alger, libéré en 1965 ;

    * Jacques Faure, 77 ans, représentant des putschistes à Paris, libéré en 1966 ;

    * Marie-Michel Gouraud, 77 ans, commandant le corps d'armée de Constantine, libéré en 1965 ;

    * Gustave Mentré, 73 ans, qui ne fera pas de prison ;

    * Jean-Louis Nicot, 71 ans, major général de l’armée de l'air, qui n’avait pas voulu organiser la protection de la métropole contre une possible opération aéroportée des putschistes, libéré en 1965 ;

    * André Petit, 72 ans, qui avait accepté le commandement militaire d’Alger, et avait été libéré en 1964.

Remarques

    * L'expression « quarteron de généraux » a été relevée comme impropre, en ce qu'elle fait référence au nombre quatre, alors que quarteron désigne originellement « un quart de cent » soit 25. Néanmoins le mot peut être employé avec le sens de « petit groupe ».

    * À pied, à cheval et en voiture fait référence à une comédie filmée de 1957, avec Noël-Noël, Darry Cowl et Sophie Daumier, qui avait été très populaire en France. La formulation de Michel Debré avait donc, involontairement ou non, revêtu un côté facétieux, dans le but peut-être de montrer que les généraux « n'impressionnaient pas » le gouvernement.

   * Les Pacifistes européens, favorables à une solution négociée, ont eu chaud ! Les listes noires étaient prêtes et les arrestations massives programmées. Elles ne purent être organisées mais servirent de fondement aux actions de L'OAS quelques jours plus tard.

07:31 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : algérie, putsch des généraux

28 novembre 2010

Manuel du petit interviewé

Transparent.jpgL'autre soir, à la télé, sur toutes les télés, S. nous a offert un vrai festival : nier l'évidence, jouer les matamores, faire la nique aux journalistes bidonner un maximum, entourlouper tout le monde et ne pas oublier un gag d'anthologie : " ma détermination n'a rien changé".

Je ne veux pas détailler plus et vous laisse à la lecture du "Canard Enchainé".

Mais ce soir là, notre petit timonier a surtout ressortit des nimbes de l'oubli notre bon vieux Imparfait du Subjonctif : "J'aurais préféré qu'il restât".

Aussi, ce matin, pour faire un petit break dans ma série de notes lourdes je voudrais vous proposer un concours !

Nous avons tous été potaches et nous nous sommes tous gaussés de ces expressions déjà surannées.

Je lance la première, la plus facile, et je vous laisse proposer la votre.

" Il eut fallû que je le susse"

A vous !

09:57 Écrit par Pataouete dans La poulitique, Mes humeurs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : imparfait du subjonctif

26 novembre 2010

Le putsch du 8 novembre 1942 à Alger

Figurez-vous que, recherchant des éléments pour préparer une note sur le Putsch des Généraux (61), je viens de découvrir qu'il n'y a pas eu 2 putschs à Alger, mai 58 et avril 61, mais qu'il y en a eu un premier, le 8 novembre 1942, certainement le plus louable des 3. Il s'agissait pour la Résistance en Algérie de neutraliser les forces civiles et militaires afin de faciliter le débarquement des GI's qui voulaient établir une tête de pont au Maghreb, base des campagnes de Lybie, d'Italie et de France.

Cette action contribua à la libération des 3 premiers départements français libérés, 2 ans avant la métropole. Mais, cette participation a été souvent bien occultée.

Le putsch du 8 novembre 1942 à Alger

Après une longue préparation, et en exécution d'accords passés secrètement à la conférence de Cherchell le 23 octobre 1942 entre la résistance algéroise et le commandement allié, 400 résistants français, dont les deux tiers étaient des Juifs ont neutralisé le 8 novembre 1942, les batteries côtières de Sidi-Ferruch et le 19e corps d'armée d'Alger pendant une quinzaine d'heures. L'action des résistants d'Alger fut baptisée quelques mois plus tard « putsch » par ses auteurs, lorsqu'ils s’avisèrent qu'il avait été exécuté un 8 novembre, c'est-à-dire le même jour que le putsch manqué qu'Hitler avait mené à Munich en 1923.

Ils avaient pour cela occupé, pendant la nuit, la plupart des points stratégiques. Simultanément, l'un de leurs groupes, composé d'élèves du Lycée de Ben-Aknoun commandés par l'aspirant de réserve Pauphilet, avait réussi à arrêter le général Juin commandant en chef en Afrique, ainsi que l'amiral Darlan, inopinément présent à Alger cette nuit-là.

Ce putsch, par lequel la résistance algéroise neutralisa pendant plusieurs heures les autorités civiles et militaires vichystes en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, allait d'abord avoir, sur le plan militaire, les deux conséquences essentielles recherchées :

    * le succès du débarquement allié ;

    * et le retournement de l'armée d'Afrique, qui après trois jours de combat sanglant contre les alliés, terminera finalement la guerre dans l'autre camp.

De plus, ce succès militaire de la résistance et du débarquement se révèlera à la longue capital aussi, sur le plan politique, et ce bien que la neutralisation momentanée des autorités vichystes par les résistants, suivie de leur capitulation, ait d'abord entrainé la création d'un nouveau pouvoir vichyste à Alger. En effet cette nouvelle autorité, malgré le soutien de Roosevelt, sera ensuite contrainte à se démocratiser pour conduire l'effort de guerre contre l'Allemagne. Au point qu'après avoir fusionné, non sans peine, avec le Comité national français de Londres, elle passera en quelques mois sous l'autorité du général de Gaulle, devenu le seul dirigeant du Comité français de la Libération nationale.

La prise d'Alger par les résistants a donc été un véritable coup d'État, malgré ses résultats politiques différés, et l'un des rares cas réussis de coup d'État de civils contre des militaires. D'où son surnom local dans les mois suivants de « Coup du 8 novembre ».

Cette neutralisation pendant 15 heures d’un corps d’armée, par des civils, a souvent été occultée, mais comme le note Christine Levisse-Touzé elle a conditionné une des premières grandes victoires alliées sur le front occidental.

Cette opération a été remportée par des civils mal armés sur des généraux. Aussi ceux-ci n'ont-ils pu qu'en être humiliés, les uns pour s'être laissés arrêter à Alger, et les autres pour avoir tiré pendant trois jours sur les Alliés et livré sans combat la Tunisie aux Allemands, avant de se décider à reprendre la guerre contre l'Allemagne.

Les diplomates et généraux américains ont eu tendance à omettre ou à minorer le rôle de la Résistance française dans leurs relations ultérieures de l'opération Torch.

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Baie de Sidi-Ferruch, Staouéli (2009)

la plage était totalement dégagée en 1942

L'organisation du putsch

À Alger, le 6 novembre 1942, les principaux chefs de groupe de la résistance se rencontrèrent pour la première fois, au Q.G. de la conjuration, chez le professeur Henri Aboulker, au 26 de la rue Michelet. Il s'agissait de Jean Athias, André Morali-Daninos, Maurice Ayoun, Paul Ruff, Raphaël Aboulker et du capitaine Pillafort. Plusieurs se connaissaient de longue date. Mais ils ignoraient leur appartenance au même complot, tant le secret avait été rigoureusement respecté. José Aboulker les présenta alors à Henri d'Astier de la Vigerie et au colonel Germain Jousse qui leur exposèrent les buts de la conjuration et les invitèrent à commencer la mobilisation de leurs hommes.

La résistance s'était engagée, à la conférence de Cherchell, à neutraliser, pendant au moins 2 heures, les éléments algérois du 19e corps d'armée, soit quelques 12 000 hommes, dont 5 000 à Alger (et une partie dans les garnisons de Blida et Koléa), sans parler de près de 2000 membres du Service d'ordre légionnaire, créé par Joseph Darnand, et du Parti populaire français de Jacques Doriot, directement armés par les commissions d'armistice de l'Axe. Simultanément devraient être réduites au silence les batteries du fort de Sidi-Ferruch, principal site du débarquement.

Pour atteindre ces objectifs, les résistants allaient pouvoir, grâce au colonel Jousse, major de garnison, retourner contre les autorités de Vichy leur propre plan « M.O. » (plan de maintien de l'ordre), destiné par ces dernières à repousser toute intervention alliée : ce plan visait en effet à faire occuper, en cas de débarquement, les différents points stratégiques par les membres du SOL de Darnand, porteurs de brassards spéciaux revêtus des lettres VP (Volontaires de Place), de façon à permettre aux forces de Vichy, sachant leurs arrières assurés, de porter tout leur effort contre les forces alliées et de les rejeter à la mer. Mais ce fut finalement le contraire qui advint, car ce furent les résistants qui, pourvus des brassards "VP" allaient appliquer le plan MO, à leur façon. Cependant, les armes promises à Cherchell (750 pistolets mitrailleurs Sten) avaient vainement été attendues sur les plages, par suite d'une mauvaise indication des points de livraison au commandant de la corvette britannique chargée de les débarquer. Les résistants ne disposèrent donc pour remplir leur mission que de vieux fusils Lebel cachés aux commissions d'armistice, grâce au colonel Jousse.

Les chefs de groupe repassèrent au QG le lendemain, 7 novembre, pour rendre compte des premiers résultats de leur mobilisation. Ces résultats s'annonçaient en baisse par rapport aux prévisions, en raison de l'absence des armes américaines promises. On ne misait plus sur 800 volontaires, mais sur 600 seulement. Ces chefs de groupe reçurent leurs ordres de mission et leurs dernières instructions en vue de rassembler leurs groupes dans la soirée, et d'aller ensuite occuper les points relevant de leurs différents secteurs et sous-secteurs. Les brassards officiels VP leur furent remis. Ils allaient les distribuer aux volontaires, avec leurs fusils, dans les véhicules qui allaient les transporter vers leurs objectifs.

Des auteurs ont décrit la participation d'un « groupe des cinq » (ou « comité des cinq ») à cette action de Résistance, dont Jacques Lemaigre Dubreuil, Jean Rigault, Jacques Tarbé de Saint-Hardouin, le colonel Van Heycke (nommé par Pétain à la tête des Chantiers de jeunesse en Afrique du Nord) et d'Henri d'Astier de la Vigerie. Mais seul ce dernier, parmi les « Cinq », a véritablement unifié la Résistance en Afrique du nord, tandis que le putsch d'Alger a été dirigé par le jeune José Aboulker et le colonel Germain Jousse.

Le 8 novembre 1942, trois des « Cinq » étaient partis d'Alger, tandis qu'un autre, Lemaigre Dubreuil, allait attendre Giraud à Blida. Seul Henri d'Astier était à Alger le jour du putsch et a participé aux arrestations et occupations de points stratégiques effectuées par José Aboulker, Germain Jousse, Bernard Karsenty et leurs 400 camarades. Par ailleurs, la participations des Chantiers de jeunesse dans cette action se limite alors à huit de leurs membres sur environ 400 résistants.

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Foret de Sidi-Ferruch (2009)

La prise d'Alger par les résistants français

Finalement, seuls quelque 400 volontaires, dont les deux tiers étaient juifs, se présentèrent aux points de rendez-vous. Leur effectif réduit ne les empêcha pas d'occuper presque tous les points stratégiques sans coup férir. Peu après 1 h 30 du matin, ces résistants, auxquels on avait distribué en cours de route les brassards officiels VP destinés aux militants collaborationnistes, avaient atteint, puis occupé leurs objectifs : munis d'ordres de mission signés du général Mast ou du colonel Jousse, leurs chefs de groupe ou de secteurs, dans leurs uniformes d'officiers ou de sous-officiers de réserve, avaient relevé sans difficulté les différents postes de garde vichystes, et s'étaient installés dans les casernes, à l'arsenal, dans les centraux téléphoniques, dans les commissariats de police, au Gouvernement général, à la préfecture et à Radio Alger.

Le jeune José Aboulker (22 ans), accompagné d'une vingtaine de camarades, avait occupé le commissariat central, vers 1 h 30 du matin, après l'installation préalable d'un nouveau commissaire central, nommé par le général Mast, en vertu de l'état de siège. Aboulker, accueilli par ce nouveau maître des lieux, le commissaire Esquerré, s'installa immédiatement au standard téléphonique, et y fit brancher la ligne officielle. De là un contact suivi fut établi vers 1h50 avec les différents chefs de groupes, qui rendirent compte, les uns après les autres, de l'exécution de leurs missions respectives.

Seuls l'Amirauté et l'état-major de la Marine, à l'Hôtel Saint-Georges, n'avaient pu être pris en raison du manque d'effectifs. Néanmoins, les jeunes gens du lieutenant Cohen, chargés d'occuper l’état-major de place, allaient réussir à fermer l'entrée de l'amirauté pendant toute la nuit, tandis que le volontaire Rager, accompagné de 15 amis allait bloquer les issues de l'état-major de la Marine, où se trouvait l'amiral Moreau.

Pendant que tous les autres points stratégiques étaient occupés, un groupe de policiers résistants dirigé par le commissaire Achiary s'était chargé de neutraliser les personnalités civiles collaborationnistes. Dans le même temps, d'autres groupes de volontaires se chargeaient d'arrêter ou d'encercler dans leurs résidences les généraux au-dessus de trois étoiles (les généraux Juin, Mendigal, Koeltz, ainsi que l'amiral Fenard). Ainsi espérait-on faire passer automatiquement le pouvoir militaire au général Mast, en attendant l'arrivée de Giraud. Mais, lorsque le sous-lieutenant Imbert et son groupe avaient occupé l'état-major de division, ils n'y avaient pas trouvé le général Mast.

De son côté, vers 2 h du matin, le général de Montsabert chef de la garnison de Blida, rallié par Mast à la conspiration, se chargea d'intervenir, avec un détachement de ses tirailleurs algériens, à l'aérodrome de Blida. Il importait de neutraliser cet aérodrome du point de vue stratégique, et, de plus, c'était là que Giraud devait atterrir. Mais le nom de Giraud ne produisit aucun effet sur le colonel d'aviation Montrelay, qui refusa de laisser Montsabert s'y installer. C'est ainsi qu'un face-à-face menaçant s'établit pendant plusieurs heures à Blida, entre les soldats de l'armée de l'Air et les tirailleurs algériens de Montsabert. À Sidi-Ferruch, un autre des rares officiers d'active résistants, le colonel Baril, avait réussi à en faire occuper le fort par l'une de ses compagnies, et à en neutraliser les batteries contrôlant les plages. Si bien que les forces de débarquement alliées allaient pouvoir y prendre pied sans aucune perte. Les autres points de débarquement se situaient à la Pointe Pescade, à l'entrée ouest d'Alger et sur les plages du Cap Matifou, de l'autre côté de la ville.

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07:13 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : algérie, putsch 1942

24 novembre 2010

La Semaine des Barricades

La semaine des barricades désigne les journées insurrectionnelles qui se sont déroulée du 24 janvier au 1 février 1960 à Alger durant la Guerre d'Algérie (1954-1962). Son instigateur Pierre Lagaillarde (28 ans) député d'Alger (et ex-parachutiste) ainsi que ses acolytes Joseph Ortiz (47 ans), patron du bar algérois le Forum, et Robert Martel (42 ans), agriculteur de la Mitidja, organisent une manifestation au cours de laquelle une partie de la population algérienne d'origine européenne et musulmane manifeste son mécontentement face à la mutation en métropole du général Massu, le 19 janvier 1960, sur décision du président Charles de Gaulle. Des barricades sont dressées rue Michelet et rue Charles Péguy.

Lors de son discours du 16 septembre 1959, le général de Gaulle évoque le « droit des Algériens à l'autodétermination » et propose trois solutions : sécession, francisation ou association. Qu'une solution autre que française soit envisagée au conflit qui dure depuis 5 ans est jugé inacceptable aussi bien par la population française d'Algérie, que par beaucoup de militaires d'active.

L'affaire Massu

Le 18 janvier 1960 lors d'une entrevue accordée à Hans Ulrich Kempski, journaliste au quotidien ouest-allemand Süddeutsche Zeitung, le général parachutiste Massu, «héros local» de la Bataille d'Alger (1957) et du Putsch d'Alger (1958), a commis une enfreinte envers le devoir de réserve lié à sa profession et un « crime de lèse-majesté » envers le chef de l'Etat; ce qui lui a valu son départ d'Algérie.

Les circonstances de cette mutation sont directement liées à un passage équivoque paru dans le journal allemand où l'officier émet son scepticisme quant à la conduite des affaires algériennes par l'Élysée : « De Gaulle était le seul homme à notre disposition. Peut-être l'armée a-t-elle fait une erreur ». Bien que Massu ait toujours contesté avoir tenu de tels propos, l'article est paru dans la presse internationale et Paris a mis en doute sa loyauté ce qui a entraîné son rapatriement immédiat en métropole.

En fait, cette mutation rendit un fier service à Massu puisqu'elle l'éloigna du secteur algérien et lui évita de sombrer dans la félonie dont furent accusé et condamné ses acolytes de mai 58 dont il était le chef. De Gaulle ne semble pas lui en avoir tenu rigueur puisque c'est vers lui qu'il se tourna en mai 68 pour se faire "remonter les brettelles".

Chronologie des journées insurrectionnelles

Dimanche 24 janvier

 

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La manifestation débute à Alger le 24 janvier, mais il s'avère que les membres de l'armée française ne s'associeront pas à un mouvement insurrectionnel. Le Général Challe prévient les insurgés qu'il fera tirer si la Délégation générale (ex Gouvernement Général) est investie. Joseph Ortiz décide alors de se replier dans le bâtiment de la Compagnie algérienne, au balcon duquel il prononcera un discours de ralliement à la population « L'Algérie doit choisir, être française ou mourir ».

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Il fait dresser des barricades autour, gardées par des hommes en armes, membres de son mouvement, le Front national français, ou bien des Unités Territoriales, réservistes participant par roulement au maintien de l'ordre. Pierre Lagaillarde fait de même à l'Université, quartier des facultés, où il établit son poste de commandement surnommé « Alcazar ».

Vers 18 heures, les gendarmes mobiles et les CRS reçoivent l'ordre de faire évacuer les manifestants. Un coup de feu est tiré déclenchant une fusillade nourrie. Les parachutistes tardent à s'interposer.

Le bilan est lourd. 14 gendarmes sont tués, ainsi que 6 manifestants. Il y a environ 150 blessés.

Lundi 25 janvier

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Le lundi 25 janvier, le délégué général Paul Delouvrier et le chef des armées en Algérie, le général Challe sont en position difficile. Si l'armée ne s'est pas ralliée aux insurgés, Challe sait qu'une partie importante de ses subordonnés leur est favorable et qu'il ne peut donner l'ordre de tirer.

Michel Debré, premier ministre, et Pierre Guillaumat, ministre des Armées, se rendent à Alger et réalisent la gravité de la situation. Le colonel Antoine Argoud leur annonce que, si de Gaulle ne veut pas renoncer à l'autodétermination, « les colonels se chargeront de l'y contraindre ». La pression d'Argoud sur Delouvrier se poursuivra dans la journée du 26 janvier. Paul Delouvrier décide alors de fuir Alger. Il convainc le général Challe de se replier avec lui. Auparavant, Delouvrier enregistre un discours appelant la population à la raison. Il y propose également le pardon à Ortiz et Lagaillarde, ce qui lui sera reproché par Paris.

Jeudi 28 janvier

Delouvrier et Challe se rendent le 28 janvier à la base aérienne de Reghaïa et y installent leur nouveau quartier général.

Vendredi 29 janvier

Le président Charles de Gaulle (en uniforme de général) fait une allocution télévisée. Il appelle l'armée à ne pas se joindre aux insurgés, qu'il condamne.

Samedi 30 janvier

Le discours du président, ainsi que celui de Delouvrier portent leur fruit, aussi bien auprès des soldats que des membres des Unités Territoriales dont la plupart des membres abandonnent peu à peu les barricades. Seuls les plus déterminés poursuivent le mouvement.

Dimanche 31 janvier

Des négociations sont menées pendant toute la journée du dimanche 31 pour obtenir la reddition des insurgés. Joseph Ortiz s'enfuit dans la nuit du dimanche au lundi.

Lundi 1 février

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Pierre Lagaillarde, dans son uniforme de sous-officier parachutiste de réserve («tenue Léopard »),durant la semaine des barricades.

Le 1er février, Pierre Lagaillarde et ses partisans organisés en colonne, se rendent aux parachutistes du 1er REP qui leur rendent les honneurs militaires.

Conséquences

Le bilan fait état d'environ une vingtaine de morts et 150 blessés.

Cette semaine marque une escalade des partisans de l'Algérie française. Elle s'inscrit à la suite de la journée du 13 mai 1958 et préfigure la tentative de coup d'État du 22 avril 1961. La répression est sévère : Les Unités Territoriales créées en 1955 sont dissoutes à l'issue de cette insurrection ainsi que les 5è bureaux. Les volontaires peuvent s'engager dans le Commando Alcazar du 1er REP qui est spécialement créé.

Elle est également le symbole d'une fracture entre Français : d'un côté les Français de métropole las de cette guerre et qui soutiennent la proposition d'autodétermination du président de Gaulle, et d'autre part, les Français d'Algérie qui se sentent trahis et abandonnés.

Elle montre aussi le trouble qui sévit dans l'armée, celle-ci se divisant entre allégeance au gouvernement légal de Paris et soutien à la population française d'Algérie. Le Général Challe, qui venait d'obtenir la victoire sur le terrain est limogé.

Les meneurs sont arrêtés et emprisonnés et jugés par un tribunal militaire en Métropole. Le procès dit « des Barricades » se tient à Paris au mois de novembre 1960. Les accusés Pierre Lagaillarde et Joseph Ortiz, mis en liberté provisoire pour la durée du procès, s'enfuient à Madrid, Espagne où ils fondent l'OAS en décembre.

Tous deux sont jugés par contumace mais bénéficient de l'amnistie présidentielle en 1968.

Il faut aussi constater, sur le diaporama ci-joint que j'essaye vous proposer que, cette fois encore, les foulles qui rejoignent la rue Michelet sont très "Bigarées". De nombreux indigénes accompagnent les européens, anciens combattants, fonctionnaires de l'administration française ou ouvriers agricoles entrainés par leur Patron ?

En tout cas ils sont nombreux sur les photos et triste retournement de l'histoire ils figureront très certainement parmis les victimes de l'OAS.

Autre petite remarque, il faut dire que c'était l'hiver et qu'il pleuvait, les femmes européennes portent trés souvent un foulard qui n'a rien d'islamique...

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07:15 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : algérie, barricades, massu, lagaillarde

22 novembre 2010

Un mythe douloureux

J'ai eu connaissance d'un article de "Ouest-France" relatant des Rencontres récentes réunissant des intellectuels natifs ou fils de natifs d'Algérie.

Je me retrouve énormément dans ces déclarations que ce soit sur l'apparition du terme " Pieds-noirs" que sur l'accueil en Métropole ou sur l'amalgame avec les riches colons.

2 remarques préalables :

Tout d'abord, j'ai l'impression que l'atterrissage a été plus dur pour ces Français d'origine Espagnole qui ne connaissaient pas la Métropole et n'y avaient pas d'attaches familiales donc aucune entraide. Par ailleurs, à Oran on parlait plus l'espagnol que le français, même si la scolarité était en français. J'ai connu plusieurs rapatriés qui sont restés parqués plusieurs mois dans des camps, à Gémenos par exemple, avant d'être dispatchés.

J'ai le même sentiment sur l'absorption des rapatriés. Cependant, je suis toujours étonné qu'à chaque occasion ou l'on cherche à récupérer des voix "extrémistes" on flatte les régions entourant la Méditerranée.

« Les pieds-noirs, mémoire politique »

Pessac : Curiosité et émotion, hier soir, lors des Rencontres IEP-« Sud Ouest » sur le thème « Les pieds-noirs, mémoire politique »

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L'écrivain Alain Vircondelet cite volontiers Albert Camus. Photo Thierry David

Le mot « pied-noir », qui est apparu dans le langage courant autour de 1962, est devenu l'appellation dans laquelle se reconnaissent tous ceux qui ont vécu le traumatisme du rapatriement à cette époque, mais aussi leurs enfants et descendants.

C'est pourquoi les Rencontres IEP-« Sud Ouest » qui se tenaient hier à Pessac sur le thème « Les pieds-noirs, mémoire politique » (elles étaient animées par Hélène Valeins, journaliste à « Sud Ouest ») ont fait le plein d'une audience attentive, émue à l'évocation de moments particulièrement douloureux. Ainsi, quand l'écrivain Alain Vircondelet a évoqué une interview terrible de Gaston Defferre, maire de Marseille, dans laquelle il faisait référence aux rapatriés de 1962 : « Qu'ils partent, qu'ils traversent à nouveau la mer, mais qu'ils ne viennent pas chez nous », la réprobation était encore palpable quarante-huit ans plus tard.

Les lauriers-roses

Exode 2.jpgLe cinéaste Gilles Perez, fils de rapatriés, né en métropole, n'avait pas jugé utile de s'intéresser à la question jusqu'à ce qu'il réalise un documentaire qui lui a fait comprendre pourquoi le sujet n'avait jamais été abordé dans sa famille : « En 1962, ils ont eu conscience qu'il fallait partir en France, mais ils se sont dit aussi qu'ici il leur faudrait raser les murs. »

Pour tous, quitter l'Algérie pour une métropole dont ils n'avaient souvent aucune connaissance directe a été vécu comme un traumatisme. Celui-ci a été loin d'être adouci par l'accueil réservé : « Retournez chez vous ! » proclamait une banderole de la CGT à l'arrivée du « Ville d'Alger », d'où débarquaient Alain Vircondelet et sa famille, en 1962, à Marseille.

Vécue comme un mythique paradis perdu, l'Algérie, où ils avaient « tout perdu », n'était pourtant pas pour eux un pays de nababs, expliqua l'historien Jean-Jacques Jordi : « Tout, c'était très souvent fort peu de choses, des senteurs, la nature, les lauriers-roses. »

Pour Gilles Perez, en effet, le mythe des grands colons propriétaires terriens a fait beaucoup de mal aux pieds-noirs : « Quand j'ai proposé aux chaînes de télévision mon documentaire sur le plus grand exode qu'ait connu la France depuis la Seconde Guerre mondiale, on m'a très vite demandé combien d'hectares nous avions là-bas, alors que ma famille n'y a jamais rien possédé. »

Emmanuelle Comtat, elle aussi fille de rapatriés d'Algérie, professeur à Sciences Po Grenoble, a également précisé que ce traumatisme a été d'autant plus douloureux que les pieds-noirs se sentaient profondément français, au point de « redouter qu'on ne les prenne pas comme assez français ».

Le prix du sang

Souvent venus directement d'Espagne ou d'autres pays européens, ils avaient dû se fondre dans ce « melting-pot », et chaque famille avait payé pour cela le prix du sang dans les guerres mondiales.

Finalement, expliquait Alain Vircondelet, l'amertume des rapatriés s'est davantage tournée contre les métropolitains que contre les Arabes musulmans, « qui eux aussi ont subi la terreur et qui eux aussi, en 1962 ne savaient pas où ils allaient ».

Malgré tout cela, expliquait Emmanuelle Comtat, parlant d'expérience, le fait d'être pied-noir n'a pas traversé les générations : « Les enfants de ceux qui ont subi l'exode ne se sentent pas pieds-noirs; déjà, ils se revendiquent d'une région de métropole où ils ont vécu. L'identité ne se transmet pas aux enfants. »

Restent des pages admirables d'Albert Camus, que cite volontiers Alain Vircondelet, pour rêver sur un pays devenu mythique.

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