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28 avril 2010

De Camus aux fantômes de la Révolution

 

Je débute aujourd'hui une série de notes extraites d'un dossier publié dans Marianne de Martine GOZLAN envoyée spéciale à Alger.

De Camus aux fantômes de la Révolution

Pourquoi la mémoire de l'Algérie demeure inguérissable ?

Camus.jpgDe l'autre côté de la Méditerranée, l'hommage enfin rendu au prix Nobel Albert Camus a ses détracteurs. La polémique en réveille d'autres. Et c'est toute leur histoire, avec la France mais aussi avec eux-mêmes, qui déchire de nouveau les Algériens.

"Alerte !" Comment ça Alerte ? Qui veut nous expédier aux abris? L'air est si doux ce printemps à Alger, la terrasse de l'hôtel Saint-Georges' embaume la fleur d'oranger et toutes les guerres semblent finies. «Alerte! La reconquête française a commencé! » répète Mohamed Bouhamidi en scrutant le crépuscule comme s'il y rampait des spahis ou des parachutistes. Les fantômes de la mémoire. Car le temps algérien est toujours à l'orage. C'est la  "Caravane Albert Camus", un hommage au prix Nobel natif de Belcourt, qui met dans cet état Bouhamidi, journaliste et essayiste francophone de 64 ans. La « Caravane " devait sillonner le pays sous le ciel d'avril, mais la polémique enfle si fort qu'on ne sait plus si l'ombre de Camus sera autorisée ou non à respirer les absinthes de Tipasa et la poussière d'Alger.

D'un côté, Yasmina Khadra, directeur du centre culturel algérien de Paris qui soutient le projet, de l'autre des militants drapés dans la bannière de « l'anticolonialisme ". Bouhamidi et son camarade Mustapha Madi, directeur des éditions Kasbah, ont publié un texte enflammé, signé par des sympathisants francophones comme arabophones.

« Pas une pétition, une alerte! Scandent à nouveau les deux hommes. On ose parler de "Camus l'Algérien" mais Camus n'était pas algérien ! Il ne voulait pas l'être ! On ne peut pas disposer ainsi de notre identité algérienne: l'opération amorce la reconquête des imaginaires, conséquence logique de la loi française du 23 février 2005 sur l'œuvre positive de la colonisation. Voilà la nouvelle guerre qu'on nous mène aujourd'hui! »

Le thé noircit dans les verres et la normalisation franco-algérienne s'évanouit une fois de plus à l'horizon. Le soleil a sombré mais on devine encore la masse du mausolée des Martyrs qui domine les scintillements de la baie.

Elle est si vieille, cette polémique Camus. Elle dit tant de choses sur l'Algérie. Il y a vingt ans déjà, à l'aube de nouvelles années de sang, alors que le Front islamique du salut marchait à la victoire puis au chaos, un médecin, d'article en conférence, tentait, seul, de ranimer la mémoire du prix Nobel dans un pays qui l'avait décrété étranger. Le Dr Laâdi Flici, naguère ardent patriote pendant la guerre d'indépendance et embastillé par l'armée française à la prison Barberousse, se heurtait depuis des années au dogme du FLN. Cet homme doux, qui soignait les oubliés de la Kasbah, me racontait « Camus l'Algérien », en revenant du 93, rue de Lyon (aujourd'hui rue Belouizdad), l'adresse de l'écrivain quand il était enfant et si pauvre, « à mi-distance de la misère et du soleil ». On partageait la réverbération d'une existence algérienne antérieure sur cette même terrasse du Saint-Georges où les compatriotes du Dr Flici crient aujourd'hui au complot néocolonial. Il ne pourra pas leur répliquer. Un commando intégriste l'a égorgé le 17 mars 1993.

Martine Gozlan

 

autre.jpg

Le pouvoir, pressé de faire diversion sur la crise sociale,

réactive les blessures de la colonisation.

La guerre est le socle de sa légitimité.

 

27 janvier 2010

Albert Camus - Photos rares

Voila, nous sommes revenus au Bled !

Aujourd'hui, réinstallation, quelques courses et préparation de demain...

Alors, je n'ai pas beaucoup de temps pour blogger (comme dirait Rosa)...

J'avais mis ce montage photo en réserve donc je le publie aujourd'hui : Albert Camus : photos rares...


09:55 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : algérie, camus, combat

16 janvier 2010

Camus et l'Enquête en Kabylie

 

Camus et l'Enquête en Kabylie

 

Camus Alger républicain.jpgEn 1939, Albert Camus entreprend sa fameuse enquête en Kabylie. Dans une série d'articles, il évoque toutes les bonnes raisons que se donnent les colons pour maintenir les musulmans dans leur triste condition. Il s'élève contre le colonat, qui a déraciné l'Arabe de sa propre patrie. Il dénonce la misère, la famine, l'inculture, la détresse du peuple kabyle. Il prône sa dignité et s'insurge contre l'idée, si répandue, de l'infériorité de la main-d'œuvre indigène.

Il n'y a pas que des chiffres dans les articles de Camus. Un profond sentiment d'humanité s'y manifeste. Camus ne se voile pas la face devant les spectacles atroces que lui inflige le régime colonial.

Un passage :

"Dans la commune d'El-K.seur, sur 2 500 habitants kabyles, on compte 2000 indigents. Les ouvriers agricoles emportent avec eux, pour la nourriture de toute la journée : un quart de galette d'orge et un petit flacon d'huile. Les familles, aux racines et aux herbes, ajoutent les orties.

Par un petit matin, j'ai vu à Tizi-Ouzou des enfants en loques disputer à des chiens le contenu des poubelles. A mes questions, un Kabyle a répondu : C'est tous les matins comme ça. Cette famine n'est pas une épidémie de peste ou de choléra. Derrière tout cela, il y a l'injustice et l'âpreté du colonat et de l'Administration.

Homme Kabyle.jpgAutour de Michelet, le salaire agricole moyen est de 5 francs, plus la nourriture, pour dix heures de travail. Le salaire communal est de 11 à 12 francs. Mais on retient directement sur cet argent, et sans prévenir les intéressés, l'arriéré des impôts. Ces retenues atteignent parfois la totalité du salaire. Il n'y a pas de mot assez dur pour qualifier pareille cruauté. Je suis forcé de dire ici que le régime du travail en Kabylie est un régime d'esclavage".

Au fil des articles, l'enquête de Camus s'oriente peu à peu vers une conscience politique du problème. Or déjà, pour lui, la politique passe par la morale et par un dévoilement de la mauvaise foi.

Un autre article :

"Quant à l'idée si répandue de l'infériorité de la main-d'œuvre indigène, c'est sur elle que je voudrais terminer. Car elle trouve sa raison dans le mépris général où le colon tient le malheureux peuple de ce pays. Et ce mépris, à mes yeux, juge ceux qui le professent. J'affirme qu'il est faux de dire que le rendement d'un ouvrier kabyle est insuffisant. Car s'il l'était, les contremaîtres qui le talonnent se chargeraient de l'améliorer.

Il est vrai, en revanche, que l'on peut voir sur des chantiers vicinaux des ouvriers chancelants et incapables de lever une pioche. Mais c'est qu'ils n'ont pas mangé. Et l'on nous met en présence d'une logique abjecte qui veut qu'un homme soit sans forces parce qu'il n'a pas de quoi manger et qu'on le paie moins parce qu'il est sans forces."

 

Femme Kabyle.jpg

 

 

11:51 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : camus, algérie, kabyles

15 janvier 2010

Le projet Blum-Violette

 

Le projet Blum-Violette.jugé par le journal l'illustration

150px-Léon_Blum_by_Vallotton.jpgEn 1937, le front populaire présente une loi pour accorder la citoyenneté française à des Algériens. Le projet est préparé par Maurice Violette, ministre radical et ancien gouverneur de l'Algérie(ce projet rencontre l'hostilité des colons français et du Sénat qui le repousse en 1938. Environ 20 000 "indigènes algériens" accéderont à la nationalité française sur une "population indigène" de sept millions. Les conditions [pour devenir citoyen français] s'appliquent notamment :

Ø  Aux indigènes ayant conquis un grade dans l'armée ou certaines distinctions au titre militaire ;

Ø  Aux indigènes titulaires de certains diplômes, de l'enseignement supérieur, de l'enseignement secondaire, de l'enseignement professionnel, industriel, agricole ou commercial ;

Ø  Aux indigènes ayant exercé pendant un certain temps des fonctions publiques.

En un mot à ceux que l'exposé des motifs qualifie "ceux d'entre-eux qui sont les plus évolués ou qui ont apporté des garanties importantes de loyalisme" [...]

"Que conclure alors devant le projet Violette ? Notre réponse sera bien simple. Les masses indigènes ne sont pas à un stade de civilisation suffisamment avancé, elles n'ont pas encore, elles n'ont pas encore le discernement, l'indépendance, la sécurité matérielle et la plénitude de la vie extérieure pour l'exercice fécond des droits politiques [...] L'indigène n'a nul besoin d'être protégé ou défendu contre les Français, mais bien contre lui-même et contre le milieu social et économique dans lequel il vit". L'illustration, 24 avril 1937

Messali_hadj_ahmed.JPGTous les membres du Congrès Musulman, sauf les Oulémas qui émirent quelques réserves, soutinrent le projet de Blum-Violette qui admettait « à l'exercice des droits politiques des citoyens français, sans qu'il en résulte aucune modification de leur statut ou de leurs droits civils »[10] des Algériens de catégorie limitativement déterminés.

Concrètement, cela voulait dire que le projet accordait la citoyenneté française à une « petite élite » d'environ vingt mille Algériens, diplômés de l'enseignement, élus, militaires ou fonctionnaires. Messali Hadj, condamna ce projet dans lequel il ne voyait qu'un « nouvel instrument du colonialisme, appelé, selon les méthodes habituelles de la France, à diviser le peuple algérien, en séparant l'élite de la masse».

En Mars 1937, le leader nationaliste condamnait le projet Blum-Violette comme anti-démocratique dans les colonnes de La Gauche Révolutionnaire  : « c'est d'abord un projet antidémocratique, qui fait fi de l'histoire et qui renforce le colonialisme en augmentant ses serviteurs de 20 000 laquais, pour aggraver le sort de 6 millions et demi de fellahs, d'ouvriers, de petits commerçants et d'anciens militaires. Le projet Violette n'est nullement une solution, il n'est pas non plus un commencement de réformes sérieuses, c'est la discorde et la division entre une classe doublement privilégiée et une autre doublement sacrifiée ».

Il était évidant que par le projet Blum-Violette, le « Front Populaire » cherchait à combattre l'Etoile Nord Africaine et l'idée d'indépendance de l'Algérie. L'historien socialiste Charles-André Julien ne cachait, d'ailleurs, pas cet objectif lorsqu'il affirmait : « le projet Blum-Violette admettait 21 000 indigènes à bénéficier de la citoyenneté dans le statut. Chaque année ce nombre se fût accru et cette accession désirée, comme ce ne fut plus le cas quand le général de Gaulle en reprit les disposition par l'ordonnance de 1944, eut été le plus sûr obstacle au nationalisme et, plus encore, au panarabisme en établissant un écran de « francisation » entre la Tunisie et le Maroc ».

En matière coloniale, les réalisations furent plus difficiles en raison du profond conservatisme des colons, très puissants, et du dynamisme de certains mouvements politiques locaux (principalement en Algérie), qui préfèrent souvent l'indépendance à l'égalité des droits. Ainsi, le projet Blum-Violette étendant la nationalité française à certains Algériens est-il bloqué par le Sénat, comme le projet d'accorder l'indépendance aux mandats du Liban et de la Syrie. En Tunisie, les colons les plus influents « tinrent l'avènement du Front populaire pour une catastrophe cosmique et [le sous-secrétaire d'État] Pierre Viénot pour l'Antéchrist [...] » Charles-André Julien, dans Léon Blum, chef de gouvernement) : ils déployèrent donc tous leurs efforts pour saboter la politique menée. Mais pour la première fois, un dialogue est ébauché, une politique réformiste est envisagée : c'est un premier dépassement du clivage entre le colonialisme pur et dur d'une part, la sécession immédiate d'autre part, d'où nait, après 1944, la décolonisation.

Le code de l'indigénat est vidé de sa substance, puis complètement abrogé, par Marius Moutet, qui s'efforce d'améliorer le sort des colonisés et de les associer à l'administration de leurs territoires.

Désolé pour les com's déjà posés mais j'ai du supprimer et re-noter pour que cela apparaisse sur Explorer...

220px-Marceaupivert.jpg

 

10:32 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : camus, algérie, violette

05 janvier 2010

Camus doit-il entrer au Panthéon ?

Bien entendu, vous me connaissez, l’idée de faire entrer Albert Camus au Panthéon, émise par notre président, ma laissé perplexe. Cet Algérois, Homme du Peuple fût traité avec mépris par l’intelligentsia de son époque. Au hasard d’une salle d’attente, j’ai trouvé un papier d’Yves Simon. Yves Simon soutient l’idée du président de la République, mais émet quelques réserves. Je vous propose ce texte.

 

Camus doit-il entrer au Panthéon ?

Albert Camus tablier noir 1920.jpgDes détestations, ici et là, envers le président de la République voulant «panthéoniser» Albert Camus ne doivent surtout pas occulter l'admiration que nous éprouvons pour l'auteur de « L’étranger ». Sa réhabilitation tardive ne doit rien à une République reconnaissante, mais à sa lucidité d'esprit qui, aujourd'hui, nous semble aller de soi, tant elle s'est incrustée dans nos manières de ressentir les soubresauts d'un monde malade. Ne fut-il pas le seul à dénoncer la répression colonialiste de Sétif et Guelma, à qualifier de «guerre» ce que le gouvernement français qualifiait d'« opération de police» ? Que Nicolas Sarkozy approuve, a posteriori, de tels engagements et qu'il soit conduit à solenniser un Camus non conformiste n'a rien de choquant, même si le président nous a plutôt habitués à proclamer publiquement une certaine condescendance pour ce qui touche à la littérature et à la philosophie.

« Grâce à lui, j'ai la nostalgie chaque fois que je vais en Algérie, de ne pas être né en Afrique du Nord. »

Diable ! S'il avait admiré Lautréamont, aurait-il regretté de n'être pas né à Montevideo ? Qu'on se souvienne ! Les derniers écrivains entrés furent André Malraux et Alexandre Dumas. En avaient-ils rêvé et reconnaîtraient-ils cette ultime sépulture comme la leur ? Question inutile. Le Panthéon est une affaire de postérité et non de testament. Si viol posthume il y a, il est à imputer aux générations qui décernent, sans vote ni jury, ce prix Nobel des morts.

J'ai cité « L’étranger» à dessein puisque. Si l'on en croit les spécialistes qui accusèrent Camus d'être un piètre penseur («  L’homme révolté»), ce sont bien les jeunesses qui ont plébiscité ce roman magistral - écrit à 28 ans - comme un des chefs-d'œuvre du XXème siècle. Camus représenta, pour les gens de ma génération, une alchimie entre un physique, des mots et une esthétique romanesque, nous faisant entrevoir un avenir qui serait littéraire et rebelle ou ne serait pas.

En 1942, Sartre, l’agrégé de Normale. Sup. accorde un 21/20 à «L’étranger», mais un 7/20 au Camus philosophe. Le malentendu aurait-il suinté de cette querelle vaine entre une bourgeoisie arrogante et l'intrus des bas-fonds venu la narguer ?

Stèle à A Camus Tipaza.jpg« Toute sa vie, Camus a été un homme du doute, incertain de son talent. Sartre, lui, croyait en son génie », dit son biographe Olivier Todd. Camus. Homme du peuple, dont la mère ne savait pas lire, fut-il traité avec mépris par une intelligentsia parisienne se gaussant son accent algérois, de ses manière de hussard ?

Obsolète, la querelle ? Un fait est là : en 2009, un président désire installer dans notre sanctuaire national un écrivain adulé, alors que des forces diverses s'opposent et au choix présidentiel, et à l'écrivain ainsi désigné.

«Je pense à tous ceux qui sont de la même origine que mon père. c'est à dire très pauvres, et à ma grand-mère qui était femme de ménage. Peut-être que c'est aussi un hommage qui lui est rendu à elle et, de ce point de vue-là, c'est peut-être aussi un symbole pour tous ceux pour qui la vie est difficile » déclare Catherine Camus, sa Fille. La symbolique, tout est là ! Camus au Panthéon, c'est l'alliance du fils prodige et de la mère analphabète, du l’algérois militant et de l’Algérie algérienne de l'intellectuel résistant et des intellectuels écrivant, du styliste brillant et des exclus d'une telle grâce.

Les symboles ont la vie dure et je ne peux que songer à cette femme, noire, couverte du drapeau tricolore, chevauchant un cheval immaculé pour remonter la rue Soufflot, au soir de l'arrivée du corps de Dumas le quarteron, petit-fils d'esclave.

La France tourmentée, par volonté présidentielle, sur son identité, honorerait, apaisée, en la personne d’Albert Camus, un nomme lucide et clairvoyant ne s'étant trompé en rien sur les devenirs chaotiques de l'Histoire. Homme blessé et révolté, réfractaire à tout pouvoir et à toute absolution, il est cet homme auquel nous serions fiers de rendre hommage en le plaçant ainsi au panthéon de nos cœurs, de nos esprits et de nos admirations.Yves Simon.jpg

Camus vers la Suède.jpg
Prix Nobel de Littérature, en 1957,
l'écrivain part en Suède en train pour recevoir sa distinction.

07:23 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : camus, panthéon, alger