22 décembre 2010
Le Testament du Frère Christian
Le Frère Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine, avait laissé à sa famille en 1994, deux ans avant le drame de Tibhirine, ce testament spirituel :
« S’il m’arrivait un jour – et çà pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays.
Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat.
« Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint.
« Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut-être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam.
« Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église, précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans.
« Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui Ses enfants de l’islam tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion, investis par le Don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
« Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis!
« Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « A-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. Amen ! Inch’Allah. »
Après cela, croyants et non-croyants, nous n'avons plus qu'à fêter NOËL !
07:49 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : algérie, testament de tibhirine, frère christian
20 décembre 2010
Je suis Emmanuel Audrain,
le réalisateur du film-documentaire "Le testament de Tibhirine", tourné en 2005
Mai 2010. Paris.
Quelques jours après le Festival de Cannes, les proches et les familles des moines, sont invités à découvrir Des hommes et des dieux, le film de Xavier Beauvois, qui vient de recevoir Le Grand Prix. "Nous aimerions vivre ce moment, avec toi, me disent les nièces de Paul ". Un saut dans le TGV (je vis en Bretagne) et me voilà au milieu de beaucoup de visages connus. Le film commence. Je suis d'abord troublé de ne pas retrouver les paysages et les lieux de Tibhirine (tournage au Maroc). Il me faut un peu de temps pour que chacun des comédiens incarne chacun des moines. Puis, la magie du cinéma opère. Deux heures durant, je suis emporté par un récit puissant et juste.
« Pourquoi sont-ils restés ? »
Cette question, était le cœur de mon documentaire. La voici traitée, avec les moyens de la fiction. Le scénariste Etienne Comar et le cinéaste Xavier Beauvois ont fait un beau travail d'adaptation, de création. Peu de mots. Des chants et des visages « habités », font revivre les sept moines ... Avec leur cœur, leur foi et leurs mains nues, les voici confrontés à la violence. Celle des « frères de la montagne », celle des « frères de la plaine ". Résistants et solidaires malgré la peur, les moines bouleversent les spectateurs. Quand le film s'achève, ma voisine de droite, Annick (nièce de « Paul» ) jette un regard vers notre voisine de gauche, sa belle sœur Algérienne. Celle-ci, dit: « Ces moines ont tant aimé mon pays, qu'ils me donnent envie de le considérer à nouveau. Et de garder espoir! »
À l'issue de la projection.
Nous nous retrouvons tous avec émotion, autour d'Henry Quinson, le «Conseiller monastique » du film. C'est lui qui a proposé les différents psaumes et chants qui le ponctuent. Henry a connu plusieurs des moines, traduit et adapté le livre de l'Américain John Kiser« Passion pour l'Algérie ». La justesse de ton, du film, lui doit certainement beaucoup. Quand Annick lui demande : «Mais, d'où vient-il, ce film? », il répond, en se tournant vers moi:
- « Emmanuel, y est un peu pour quelque chose ...
C'est en découvrant son Documentaire « Le testament de Tibhirine », un soir très tard, à la télévision, qu'Etienne Comar, le scénariste, a été touché par cette histoire et a eu le désir d'écrire cette fiction. »
Je ne savais pas que mon travail avait été« l'étincelle » (ou l'étoile) qui a mis en route Etienne Comar. C'est bien.
Faire advenir "la deuxième histoire» de Tibhirine ...
La « première histoire » de Tibhirine, elle est connue de chacun de nous et du monde entier. Elle a fait la Une de tous les médias, en 1996 ( et encore aujourd'hui ). Il y est question de terreur, de Groupes Islamistes Armés, de Services secrets, de cercueils remplis de sable et de mensonges d'Etat. .. Cette histoire-là, s'attache bien peu aux moines. À chaque fois, je la trouve sinistre, désespérante. (Pourtant, la vérité doit être dite, « officiellement ». )
La "deuxième histoire" de Tibhirine,
Celle de l'amitié de ces moines pour ce pays d'Algérie et pour son peuple. Cette relation, tissée depuis des dizaines d'années, avec la patience du fil des jours, elle est Belle. Elle a failli passer inaperçue. L'actualité, dévoreuse d'événements, va si vite. Sans « le testament » de « Christian », cette seconde histoire aurait-elle été soupçonnée? Aurait-elle été entendue? C'est, huit jours après l'annonce de leur mort, que « le testament» est publié dans La Croix, puis dans toute la presse. Je le découvre dans mon journal de tous les jours. Je le lis, le relis. Étonné, bouleversé. Un homme, aujourd'hui disparu, me parle de ses choix de vie. Comme il me touche, son amour inconditionnel pour l'Algérie et les Algériens. Son respect pour l'Islam. Son pardon, offert ... Avec ce texte, Christian et sa communauté viennent de reprendre la parole, et aussi simplement qu'ils avaient vécu, ils donnent les clés de leur présence, en ces lieux et ces temps, si troublés. Soudain, j'éprouve de la gratitude pour ces sept moines (à l'époque, je suis bien loin de penser que cela me conduirait à réaliser « Le testament de Tibhirine » ).
Deux ans plus tard. juillet 1998.
C'est au Pèlerinage islamo-chrétien de Vieux-Marché (toujours en Bretagne ), que je rencontre la sœur et le beau-frère de "Célestin ". Ils connaissent bien Tibhirine, pour y être allés plusieurs fois. « Viens nous voir, à Nantes. » Ce que je fais. Ils aimeraient que je réalise un film sur Célestin. L'homme est attachant. Pourtant, ce qui me captive dans leurs propos, c'est tout ce qui concerne la vie de "la communauté ". Les liens avec le village de Tibhirine. Les liens des moines, entre eux. Je découvre des personnalités fortes, traversées de tensions et d'oppositions. Leur unité, elle se fonde sur leur attachement à ce pays et à leurs voisins. Désormais, je comprends mieux pourquoi ils sont « restés ".
Sur le pas de leur porte, quand je les quitte, ils ont bien perçu mon désir de film et me disent : « La famille de Michel est toute proche, l'Abbaye de Bellefontaine, aussi. La maman de Christophe, guère plus loin. » C'est ainsi que je commence un tour de France des familles et des monastères. Vendôme, Rennes, Bordeaux, Aiguebelle - Montélimar, Thonon, Paris.
J'écris un premier projet de Documentaire « Rester à Tibhirine ", qui devient assez vite « Le testament de Tibhirine ». Nous sommes en 2000. Gilles Padovani, mon producteur, le propose aux responsables des différentes chaînes de télévision. Sans succès. On lui dit: « Cette histoire n'intéresse qu'un tout petit public. Par contre, il y a une enquête à faire sur les GIA, les rivalités entre services secrets ... » Merci bien. Ce n'est pas notre projet. (Finalement, c'est l'approche du "dixième anniversaire" - 2006, qui décide une chaîne du Service public à entrer en coproduction.)
Automne 2004. Premier tournage en Algérie.
Le neveu de Frère Luc m'accompagne, il me montre le chemin. J'ai choisi de filmer seul, discrètement. En 2005, je fais deux autres séjours. 48 jours, en tout. C'est beaucoup. Sur un plan économique, ce n'est pas raisonnable, mais je souhaite tellement recueillir la parole des "voisins" et amis algériens des moines. Je commence plusieurs tournages à Alger, Tibhirine, Médéa. Je sens qu'il me faut du temps. "Je vais revenir ", dis-je à chacun. Et je reviens. Mais, mes différents témoins se récusent, les uns après les autres. L'un me confie: « Parler de cette " décennie sanglante " ( les années 90 ) dans un film qui va passer à la télévision, c'est se mettre en danger. " (J'avais deviné).
Mon "témoin algérien", c'est en France que je le découvre. Rachid, le mari d'Annick, une des nièces de "Paul", est Algérien. Avec leurs trois jeunes enfants, ils vivent à Thonon-les-Bains. Le tournage se fait en plusieurs étapes, et Rachid (aux côtés d'Annick) trouve les mots pour dire combien le séjour qu'ils ont fait à Tibhirine, a marqué leurs vies. Les moines parlent l'arabe et connaissent mieux que lui, l'Algérie et l'Islam. Il est bouleversé de l'intérêt que ces hommes d'âge mûr, portent "à un jeune Beur". "C'est eux, dit-il tranquillement, qui m'ont le plus donné ".
Lentement, en les voyant vivre, j'ai compris qu'on peut être "grand", autrement que par le fric, la violence ou "la sape". Ils m'ont ouvert un avenir... La qualité du cœur, la droiture. L'honnêteté. "
En 2006, mon documentaire est diffusé sur France 3 ("Tard dans la nuit" - effectivement).
« Le testament de Tibhirine" capte l'attention d'Etienne Comar, scénariste. La suite est connue. Le cinéaste Xavier Beauvois y a ajouté tout son talent. Et aujourd'hui, "Des hommes et des dieux" rencontre un public de plus en plus large.
"Le testament de Tibhirine", pour sa part, continue sa route à travers l'édition DVD et de nombreuses Projections-débats. Les deux films - qui reviennent sur les mêmes faits - s'enrichissent mutuellement. Belle surprise.
La « deuxième histoire" de Tibhirine se poursuit. C'est bien.
Lorient, 2010 emmanuel.audrain@orange.fr
Le testament de Christian.
Vous pouvez l'entendre dans ce DVD.
Vous le retrouverez aussi, sur le site du Film: www.letestamentdetibhirine.com
07:33 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : algérie, testament de tibhirine, emmanuel audrain
17 décembre 2010
"le Testament de Tibhirine"
Figurez vous qu'un petit ramoneur Savoyard(e), je ne crois plus aux cigognes, m'a fait livrer ces jours-ci un DVD. J'en suis fort heureux et veux vous le faire partager au plus tôt ! Bon redevenons sérieux afin de traiter le sujet !
Des Hommes et des Dieux, le film de Xavier Beauvois, a été l'événement de l'année, au cinéma, à Cannes, dans la presse, sur les Blogs et particulièrement chez moi. Mais d’où vient-il ce film ? "Emmanuel Audrain y est un peu pour quelque chose, c'est en découvrant son documentaire "le Testament de Tibhirine", un soir tard à la télévision, qu'Etienne Comar, le scénariste, a été touché par cette histoire et a eu le désir d'écrire cette fiction.
Christian, le Prieur, avait écrit son testament. Christophe, le plus jeune, nous a laissé un journal. Avec leurs mots, ces hommes nous disent pourquoi et comment ils sont restés aux côtés de leurs voisins musulmans du village de Tibhirine. De nombreux témoignages et images d'archives nous présentent ce monastère depuis sa création, 1938, la création du village autour, l'exploitation agricole crée, ces moines sont trappistes, la vie autour et grâce aux moines, avant l'Indépendance. La remise des terres, et l'association avec 4 paysans algériens afin de poursuivre après l'indépendance. La montée de l'Islamisme, au début des années 90, ce peuple algérien sensible aux arguments extrémistes en réponse aux violences politiques qu'ils subissent depuis toujours, défaut de logement, d'instruction, d'aide sanitaire. En un mot de sous-traitance. (Encore et toujours…)
Je publierai bientôt le témoignage d'Emmanuel Audrain sur ce qu'il appelle "la deuxième histoire de Tibhirine". Pour ma part je la qualifierais plutôt d'Histoire de Tibhirine. Des Hommes et des Dieux étant plutôt la fin tragique de cette histoire.
En attendant, un extrait, le témoignage d'un jeune "Beur" marié à la nièce de Paul : Les moines parlent l'arabe et connaissent mieux que lui l'Algérie et l'Islam. Il est bouleversé de l'intérêt que ces hommes d'âge mûr, portent à un jeune "Beur". "C'est eux qui m'ont le plus donné. J'ai compris qu'on peut être grand autrement que par le fric, la violence, la sape. Ils m'ont ouvert un avenir. La qualité du cœur, la droiture, l'honnêteté."
07:26 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : algérie, testament de tibhirine