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18 novembre 2010

"Mon oncle d'Algérie", de Nathalie Funès


Vous savez qu'au-delà de mes publications sur l'Algérie, mon souhait le plus chèr est de faire revivre, de rendre hommage, à ces Français d'Algérie qui ont milité dans le camp des anticolonialistes, des pacifiques, des progressistes, parfois, et seulement parfois dans celui des indépendantistes. Je vous en ai déjà parlé dans mes notes à propos du camp de Lodi (ICI et suivants) je vous propose aujourd'hui un livre de Nathalie Funès (journaliste au Nouvel Obs.) à propos de son Oncle d'Algérie.

Mon Oncle d'Algérie

mon oncle d'A.jpgMoins connu que son cousin d'Amérique, cet oncle-là est à la fois plus proche et plus énigmatique. Il a mille ans d'histoire - juif berbère dont les ancêtres ont connu la régence turque - et une nationalité chaotique : indigène sous l'empire colonial français, citoyen de la République après le décret Crémieux de 1870.

Mais quand, en plus, le tonton est un anarchiste patenté, membre du Mouvement libertaire nord-africain, et indépendantiste engagé, il devient le genre de parent que les familles évoquent avec force soupirs, ou pas du tout. Car, comme le rappelle l'auteure, dans l'Algérie d'hier, "il n'y a pas pire espèce qu'un pied-noir anticolonialiste".

Ainsi commence une passionnante enquête familiale menée par Nathalie Funès, journaliste du Nouvel Observateur, sur son oncle, né Fernand Doukhan, fils de Saül, "premier homme de la famille à naître français, premier à ne pas porter un prénom hébraïque, et premier à devenir instituteur et non colporteur ou matelassier". C'est une vie qui refuse de se livrer, des souvenirs qu'il faut arracher.

Oncle Fernand n'a laissé ni descendance ni journal intime, seulement quelques vieux papiers. Les indices sont donc récoltés avec soin : ici, la tombe abîmée de l'ancien cimetière Saint-Eugène à Alger, aujourd'hui Bologhine, au nord du quartier de Bab El-Oued ; là un vieux registre des anciens élèves normaliens de Bouzaréa, qui signifie en arabe "celui qui sème les grains", sur les hauteurs d'Alger, ou bien le bureau, en France, des victimes des conflits contemporains.

Trous de l'histoire

A 26 ans, incorporé dans le 9e régiment des Zouaves, le régiment d'Alger - celui qui, après la guerre, participera au conflit indochinois, aux premières opérations de police en Kabylie, puis à la lutte contre le terrorisme dans la Casbah -, Fernand Doukhan traverse, pour la première fois, la Méditerranée.

Il est fait prisonnier en Picardie, puis transféré dans un stalag du IIIe Reich. "Fernand a dû remercier ses parents de ne pas l'avoir appelé Isaac, écrit sa nièce, qui a épluché les documents. A la mention "nom du père", il est marqué Raoul Dunkhan. Pas Saül. Juste deux lettres et un tréma de différence".

Il y a aussi quelques extraits des cartons d'archives du Centre des archives d'outre-mer d'Aix-en-Provence... On y trouve la trace de l'oncle, correspondant zélé à Alger du Libertaire, parallèlement à son métier d'instituteur, arrêté en janvier 1957, puis interné dans le camp de Lodi, une ancienne colonie de la Compagnie des chemins de fer algériens, transformée en prison pour Français indépendantistes, communistes, syndicalistes, grévistes. L'avocat de Fernand Iveton, seul Français guillotiné de la guerre d'Algérie, y séjournera deux ans. Encore des pièces du puzzle rassemblées.

Lodi Monique.jpgEt quand les trous de l'histoire ne peuvent plus être comblés, il reste Internet, "la nouvelle patrie des rapatriés d'Algérie", comme l'écrit joliment l'auteure. "Le jour, la nuit, jusqu'au petit matin, ils se réunissent sur les sites de leur ville, de leur quartier, de leur cité, de leur rue d'avant. Ils échangent leurs photos, leurs souvenirs. (...) Ils tentent de laisser sur Internet les traces d'un monde qui n'existe plus que dans leur tête." Il suffit de lancer le nom de l'instituteur Doukhan.

Quelques-uns de ses anciens élèves fréquentent l'endroit, qui se souviennent d'un homme austère. Fernand Doukhan finit par être expulsé d'Algérie, le 8 avril 1958. Il n'y retournera jamais.

Il meurt, à Montpellier en 1996, toujours membre du Parti des travailleurs. Non sans avoir fait lire à sa nièce, à l'âge de 10 ans, La Mère, de Maxime Gorki.

MON ONCLE D'ALGÉRIE de Nathalie Funès. Stock, 158 p., 17 euros.

26 avril 2010

Lodi, le camp des oubliés Témoignages

 

Mes récentes notes sur le Camp de Lodi, le camp des oubliés m'ont d'abord values de nombreuses visites supplémentaires et, comme je l'avais suscité des témoignages d'enfants d'internés. Je publie aujourd'hui un premier témoignage de Monique C. qui m'a fait le plaisir et l'honneur de répondre aussitôt à ma demande. Les Photos sont également fournies par Monique. J'ai l'impression de m'être fait une copine !

Petite précision, Fouka et la Pointe Pescade étaient 2 villages ou habitait la famille de ma mère et ou mes parents ont vécu.

Camp de Lodi Témoignage de Monique C.

J'ai eu connaissance de ton site par le lien des "pieds noirs progressistes" et j'ai été enchantée de le découvrir car enfant bien qu'ayant grandit en France du fait de l'internement de mes parents et leur assignation à résidence c'est toute une mémoire familiale et environnementale qui rejaillit ,l'Algérie, le pays, je ne l'ai réellement connu qu'en 1962 lorsque mes parents sont rentrés en Algérie après l'Indépendance mais là c'est une autre histoire qui pourtant se répète puisque mes  parents  sont restés en France comme ils étaient arrivés pour les congés lors du coup d'état de Boumediene.

Mon père  René dernier d'une fratrie de 6 (1 frère et 4 sœurs) était originaire de Fouka ou il a grandit. Son frère est ensuite resté sur Blida et le reste de la famille à Alger (Pointe Pescade, Belcourt)

C'est tout naturellement qu'après avoir été à l'UJDA il a milité au PCA Psychotechnicien il a eu son premier poste en 1951 à Bône ou il s'est marié pour ensuite aller à Constantine là ou je suis née en 1953.

En 1955 il a été expulsé du Constantinois et était alors à Alger ou j'ai mes premiers souvenirs (grand mère, tantes, cousins, jardin d'enfants) c'est là qu'en 1957 il a été arrêté puis interné au camp de Lodi, dans la même période ma mère était elle aussi arrêtée et internée à la prison de Barberousse à Alger. Pour ma part la sœur de Maman médecin à Marseille est venue me récupérer  à Alger en avion pour me garder avec ses enfants en attendant la libération de Maman qui est revenue la première.

Voilà en gros l'histoire, j'espère avoir répondu à tes attentes mais si je peux affiner et développer certains points c'est sans problème.

Sa vie à Lodi  Papa m'en a parlé surtout autour de quelques photos que j'ai gardées et des quelques amis qu'il avait gardé de cette période comme André E. ou J. J'ai d'ailleurs envoyé le lien de la page à André E. qui m'avait envoyé les photocopies de l'article paru dans le "nouvel  obs" ainsi qu'une photo de Papa au camp

Je stoppe là pour aujourd'hui, ce n'est pas facile d'extirper ainsi ce pan d'histoire et surtout d'en parler mais c'est le cri du cœur qui m'a fait intervenir spontanément sur ton blog.

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11 avril 2010

Lodi, le camp des oubliés Fermeture

 

Lodi, le camp des oubliés

Au cours de la guerre d'Algérie, des centaines de Français d'Algérie, sympathisants de l'indépendance, ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire pendant des années. Nathalie Funès, grâce à des archives inédites et des témoignages exprimés dans le Nouvel Obs pour la première fois, reconstitue cette page refoulée de l'histoire.

 

Le camp de Lodi a fermé ses grilles en octobre 1960

Le camp de Lodi a fermé ses grilles en octobre 1960. Au bout de cinq années de services. Il ne restait, alors, plus beaucoup de prisonniers. La plupart avaient était libérés avant l'été. «Quand le directeur m'a convoqué dans son bureau, raconte André Espi, militant communiste et ancien technicien des postes à Alger, il m'a annoncé, en même temps, ma libération et mon expulsion d'Algérie, comme beaucoup d'internés, avant moi. J'avais 48 heures pour quitter le pays. Avec deux gendarmes qui ne m'ont pas lâché d'une semelle jusqu'à ce que je monte dans le bateau pour Marseille". A quatre-vingt six ans, le vieil homme sort de son porte feuille ce souvenir qui ne le quitte jamais. Ce n'est pas la médaille, reçue pour avoir libéré la Normandie avec la 2ème DB. C'est son avis d'assignation à résidence au camp de Lodi.

Mon témoignage

Les première fois ou j'ai entendu parler de Lodi c'était à demi-mots par mes parents, qui rappelaient aussi que c'était la Colonie de vacance des fils de Cheminots, celle ou mon frère avait fait quelques séjours avant les "événements".

Mon deuxième souvenirs réside dans les "coufins" que mes parents allaient remplir au marché Clauzel pour que Mimi, la femme d'un copain interné, apportait d'Alger à Lodi lorsqu'elle allait rendre visite à Marcel.

Mon dernier réside en 2 noms : Lequément et Féménia, deux copains de mon père, cheminots internés à Lodi. Mimi et Marcel Lequément furent mes Modèles, mes guides jusqu'à que la vie leur échappe. Pour ce qui me concerne ils sont mes "Justes" d'Algérie.

 

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Paêlla Party chez Marcel et Mimi après l'indépendance

Je pleure mais suis très heureux d'avoir trouvé ce document et très heureux d'avoir pu vous faire partager cette histoire refoulée. Si vous avez des témoignages à nous faire partager, n'hésitez pas à me les communiquer !

 

10 avril 2010

Lodi, le camp des oubliés Conditions de rétention

 

Lodi, le camp des oubliés

Au cours de la guerre d'Algérie, des centaines de Français d'Algérie, sympathisants de l'indépendance, ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire pendant des années. Nathalie Funès, grâce à des archives inédites et des témoignages exprimés dans le Nouvel Obs pour la première fois, reconstitue cette page refoulée de l'histoire.

 

Conditions de détention

Lodi 2.jpgLes détenus sont entassés dans trois dortoirs, d'une cinquantaine de lits superposés, collés les uns aux autres. Dans ses rapports, le directeur du camp souligne régulièrement que la moyenne des 10 mètres cubes d'air par prisonnier est contraire à la "législation hospitalière", qui "prévoit un cubage triple". Et que "l'atmosphère confinée" présente "des risques (...) au cas où une simple épidémie de grippe se déclencherait", comme en 1957.

«A Lodi, la monotonie, l'attente vous tombaient dessus dès votre arrivée", se souvient-il aujourd'hui. Avec des journées qui semblent ne jamais devoir finir, à tourner en rond dans la cour. Des soirées, enfermés à double tour, dès 20 heures, entassés à cinquante par dortoir, dans les relents de sueur et de linge sale. Les visites des familles sont accordées au compte-goutte. Une seule petite heure par mois et toujours en présence d'un policier. Pour tuer l'ennui, les prisonniers improvisent des cours (français, russe, arabe, mécanique, histoire, rédaction...), bricolent des pièces de théâtre ("Knock" de Jules Romain, "Topaze" de Marcel Pagnol...), organisent des tournois de ping-pongs, de volley-ball, de pétanque, lisent et relisent les mêmes livres. Les lectures des internés sont surveillées comme le lait sur le feu. Le courrier personnel est épluché, la plupart des journaux bannis et les livres, soigneusement sélectionnés. Le directeur du service central des centres d'hébergement à Alger a interdit de séjour à Lodi "Le deuxième sexe" de Simone de Beauvoir, "La peste" d'Albert Camus, "La tête des autres" de Marcel Aymé et "Les grande familles" de Maurice Druon. Même les rapports bimensuels du directeur du centre sont répétitifs. Avec, toujours les mêmes commentaires mois après mois. "L'insuffisance des rations alimentaires" dont se plaignent les prisonniers, le froid qui sévit, alors qu'il n'y a "que des couvertures en coton", le surpeuplement ("je vous serais en conséquence obligé de faire diriger les nouveaux hébergés éventuels sur d'autres centres"), l'eau des douches "à peine tiède"...

 

Les années filent

Durant ses cinq années d'activité, le camp est resté à effectif constant d'environ 150 internés. "Lodi était l'endroit où les prisonniers étaient le moins mal traités", rappelle l'historien Jean-Luc Einaudi. Les autorités ont fait plus attention, en raison de la présence de Français. Juste avant la fermeture, un groupe d'Algériens les a rejoints.

 

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L'Algérie s'embourbe dans la guerre, les années filent, les internés croupissent dans l'indifférence. La plupart des Français ignorent l'existence de ces camps. Les protestations se comptent sur les doigts d'une main. Le Comité international de la Croix Rouge se rend à Lodi, à deux reprises, pour quelques heures, envoie des vêtements et des jeux. Une délégation du Comité anti-concentrationnaire, présidé par David Rousset, ancien déporté à Buchenwald, et auteur de «L'univers concentrationnaire" fait l'aller-retour pour le camp. La Fédération Nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, s'indigne aussi. Dans un courrier de décembre 1956, elle proteste «contre l'arrestation d'un certain nombre de rescapés des camps" nazis et demande "leur libération". Peine perdue. La missive adressée à Robert Lacoste, ministre résidant en Algérie, lui-même ancien résistant, se perd dans les piles de paperasses. Ceux qui ont connu les camps de la seconde guerre mondiale sont pourtant des dizaines à Lodi. D'anciens prisonniers de guerre comme Fernand Doukhan, instituteur à Bab El Oued et militant anarchiste, arrêté pendant la bataille d'Alger parce qu'il avait fait grève à l'appel du FLN et qui a déjà subi, cinq années durant, les stalags de Ludwigsberg et de Baden Baden. Il y a aussi beaucoup d'anciens résistants. Parmi eux, Jean Farrugia, plombier-zingueur, ancien membre de l'armée clandestine des FFI (Forces françaises de l'intérieur) déporté à Dachau. Quelques mois après son arrivée à Lodi, un camion bourré à craquer de militaires vient le chercher. «Ce n'était pas la première fois qu'un véhicule de l'armée débarquait de cette façon, se souvient Paul Amar, 82 ans, ancien journaliste du quotidien Alger Républicain (proche du Parti communiste algérien et interdit en septembre 1955), resté "trois ans et sept mois" à Lodi. Farrugia a tout de suite compris que c'était pour lui et qu'il allait être torturé". Il part se cacher dans un grenier. Au bout de deux jours, sa "planque" est découverte.

"Farrugia a été " repris". Et d'autres encore après lui. C'est à mon arrivée à Lodi, durant l'été 1957, que j'ai décidé d'écrire "La question", raconte Henri Alleg, 89 ans, ancien directeur d'Alger Républicain. Je venais de quitter le centre militaire d'El Biar, où j'avais été torturé par les parachutistes de la 10ème DP. Au moment où j'allais monter dans le camion, le capitaine avait lâché : "Je vous reprendrai". Briser le silence était le seul moyen pour empêcher que cela continue encore et encore, pour que cessent les coups et la gégène». Henri Alleg retrouve, cet été là, ses anciens collaborateurs d'Alger Républicain, (Paul Amar, Jean-Pierre Saïd, Roland Rhaïs, Vincent Ivorra...), tous arrêtés avant lui. Il consacre ses journées à raconter, "d'une écriture la plus serrée possible", les sévices endurés à El Biar. Avec les noms de ses tortionnaires indiqués noir sur blanc. La lettre de cinq pages, rédigée sous la forme d'une plainte adressée au procureur d'Alger, et recopiée en plusieurs exemplaires, parvient à sortir du camp, dans les sacs à main des épouses des prisonniers et arrive jusqu'à Paris. Les rédactions de l'Humanité et de Libération la publient de la première à la dernière ligne. C'est dans sa cellule de la prison algéroise de Barberousse, où il est incarcéré un mois plus tard, qu'Henri Alleg met le point final à "La question". Le livre, très vite saisi, paraît le 12 février 1958 aux Editions de Minuit et révèle, enfin, au grand jour, les méthodes des geôles militaires en Algérie.

Les camps se sont développés en marge de la justice

"Les camps se sont développés en marge de la justice", résume l'historienne Sylvie Thénault, auteur d' «Une drôle de justice" (Editions La découverte). Les non lieux, les sursis, les acquittements et les libérations ne répondaient pas aux exigences de la répression. Il fallait interner ceux qui risquaient de ne jamais être condamnés mais aussi ceux qui ne l'avaient pas été suffisamment. Les militaires et les policiers étaient prévenus quand les prisons relâchaient un détenu et le cueillaient à sa sortie". C'est ce qui est arrivé à Pierre Cots, 78 ans, ancien responsable des ventes à Alger Républicain, militant communiste et indépendantiste. Le premier régiment des parachutistes étrangers était venu l'arrêter une nuit de mars 1957, chez ses parents, à Bab El Oued. Il dormait profondément et avait ouvert la porte machinalement. Il s'était retrouvé avec une mitraillette dans le ventre et une cagoule sur la tête sans avoir le temps de dire un mot. Simulacres d'exécution, coups de matraque, gégène, la tête sous l'eau jusqu'à l'évanouissement... Pierre Cots avait eu droit à toutes les techniques, tristement célèbres, du centre de torture des paras de la Villa Susini. Avant d'être condamné à 20 mois de prison pour atteinte à la sûreté de l'Etat. "Une fois purgée ma peine à Maison Carrée, je prends mes affaires et j'attends pour sortir, enfin libre, raconte-t-il. Une heure se passe, deux heures, l'après-midi, la soirée. Le couvre-feu tombe, les gardiens me disent : tu ne peux pas rentrer seul chez toi, une escorte va te ramener. Des policiers sont bien venus me chercher. Mais ils m'ont emmené dans un premier commissariat, puis dans un deuxième, puis au camp de Beni Messous, puis à Lodi. J'y ai encore passé un an et demi".

 

09 avril 2010

Lodi, le camp des oubliés Arrestations

 

Lodi, le camp des oubliés

Au cours de la guerre d'Algérie, des centaines de Français d'Algérie, sympathisants de l'indépendance, ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire pendant des années. Nathalie Funès, grâce à des archives inédites et des témoignages exprimés dans le Nouvel Obs pour la première fois, reconstitue cette page refoulée de l'histoire.

 

Arrestations de l'ancien Maire communiste de Sidi bel Abbès

René Justrabo, 93 ans, se souvient du jour où on est venu le chercher. C'était le 26 novembre 1956. Ils sont arrivés à l'aube, dans la lumière d'automne qui filtre à travers les volets. Au moment où la ville s'éveille doucement. "Police ! Ouvrez !». Le commissaire du 8ème arrondissement d'Alger a surgi, deux inspecteurs sur les talons, un papier dans la main droite. "Vous êtes bien René Justrabo, né le 15 juin 1917 à Mascara ? Vous êtes en état d'arrestation. Voici votre avis d'assignation à résidence». Il n'y a que quelques mots : "atteinte à la sécurité et à l'ordre public", signés du Préfet d'Alger. Cela fait plusieurs jours, déjà, que la police et l'armée raflent, les uns après les autres, les anciens membres du Parti communiste algérien (PCA). Suspect d'être trop proche des indépendantistes, il a été dissout en septembre 1955. Alger est devenu une souricière. René Justrabo, 39 ans, ancien maire communiste de Sidi Bel Abbès, sait que son tour va bientôt arriver. Il s'apprête à sauter dans le bus bondé qui le conduit, chaque jour, des hauteurs d'Alger, où il habite, au quartier de Belcourt, où il est instituteur. Mais c'est dans un camion militaire à deux bancs qu'il grimpe finalement. Poussé comme un vulgaire délinquant. Destination : le camp de Lodi. Il y restera enfermé trois ans et demi.

 

Albert Smaja, ancien du Barreau d'Alger

Le plus dur ? Nous ne savions absolument pas quand nous allions sortir, raconte Albert Smadja, 82 ans, ancien du barreau d'Alger. Dans un an ? Deux ans, trois ans, plus longtemps encore ? Nous avions laissé des femmes et des enfants, qui n'avaient plus un sou. Certains d'entre nous étaient malades, handicapés, âgés... Et nous n'avions aucune idée du sort qui nous était réservé». Albert Smadja est arrêté le 13 février 1957. Deux jours après l'exécution de son client Fernand Yveton, guillotiné à la prison algéroise de Barberousse, pour avoir tenté, en vain, de faire sauter une bombe. Ce jour là, l'avocat doit rendre à la famille un sac d'affaires personnelles, récupéré à la prison. Les policiers l'attendent à son domicile, rue Jean Jaurès, dans le quartier de Bal El Oued, à Alger. Ils veulent lui passer les menottes. Albert Smadja refuse. "D'accord, grogne un responsable, mais s'il bouge : une balle dans la peau". Il restera détenu presque deux ans à Lodi.

 

Mai 1958

 

Lodi.jpg

Massés derrière les grilles, dans la cour principale, les internés assistent en cette année 1959 à l'arrivée d'un nouveau convoi de prisonniers à Lodi. Sous administration de la police, le centre était gardé par une vingtaine de gendarmes et parfois des CRS, dans les périodes les plus tendues de la guerre d'Algérie.

Le directeur a son costume sombre et son air des mauvais jours. Il a convoqué les prisonniers, les uns après les autres, dans la cours centrale, sous le soleil ardant de ce mois de mai 1958. Des nouvelles viennent d'arriver d'Alger. Là bas, à une demi journée de route en voiture, par les gorges de la Chiffa et le ruisseau des singes, autant dire à l'autre bout du monde, des milliers de manifestants ont forcé les grilles du gouvernement et investi le grand bâtiment blanc. Le général Massu a formé un Comité de salut public. La foule, hurlante, des hommes, des femmes, des gamins, des vieillards, est massée sur le Forum. Aux cris de "Vive l'Algérie française !", "Non à l'indépendance"... Et puis, il y a eu ces slogans, qui ont résonné, venant des groupes les plus agités : "En route ! Tous à Lodi !". La guerre est en train de prendre un nouveau chemin. Un car de CRS va bientôt arriver de la capitale, pour renforcer la surveillance du camp. Mais en attendant, la consigne est claire : "Interdiction de sortir des dortoirs". Les internés, la chemise chiffonnée, le menton, mal rasé, écoutent sans se faire d'illusions. Ils ne donnent pas cher de leur peau si les ultras de l'Algérie française débarquent, les armes à la main. Eux qui sont enfermés ici, parce que suspects, à tord ou à raison, d'être favorables à l'indépendance. Aujourd'hui, cela fait quarante-huit ans, jour pour jour (le 18 mars 1962), que la signature des accords d'Evian a mis fin à la guerre d'Algérie. Mais l'histoire des internés de Lodi n'a toujours pas été racontée.