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21 mars 2011

Le Camp de Lodi le Diaporama

Comme vous le savez, Pataouète se veut la voix de tous les Français d'Algérie qui ne reconnaissaient pas le colonialisme et luttaient pour une reconnaissance des Peuples Indigènes. Mes différentes notes relatant le Camp d'Internement de Lodi font parti de celles qui ont été les plus lues et m'ont données la joie d'être contacté par des enfants d'internés.

J'ai désormais regroupé ces notes sous le chapitre : Algérie, le Camp de Lodi.

Nous avons partagé des photos souvenirs de ce camp. Bien sur, on photographie rarement le mauvais, il va donc s'agir de regroupements dans la cour ou de groupes, d'équipes, participant à des activités de loisirs organisés par les détenus. Il ne faudra pas pour autant considérer qu'ils sont en Colonie de Vacances, c'est loin d'être le cas.

Cette semaine, je consacrerais mes notes à ce Camp de Lodi. J'ai regroupé toutes les photos proposées dans un diaporama, les photos défilent toutes les 5 secondes, mais si vous le souhaitait, en cliquant sur la photo vous pourrez l'agrandir et prendre tout votre temps si vous pensez pouvoir reconnaitre quelqu'un. Si vous connaissez quelqu'un n'hésitez pas à laisser une trace dans les commentaires.

Enfin, j'ai aussi souhaité illustrer ces Photos par des extraits de textes présentés par Nathalie Funes dans son livre "Mon Oncle d'Algérie".

 

algérie,lodi,photos de lodi

 

Fernand arrive à Lodi dans la soirée du 6 février 1957. Il a fait la route d'Alger sur les bancs du camion bâché, les mitraillettes de deux militaires pointées sur lui. Une demi-journée de trajet, à travers les gorges de la Chiffa et le Ruisseau des Singes. Avec la trouille au ventre. Les fellaghas sont partout. Prêts à fondre sur les convois militaires qui leur semblent les plus vulnérables. S'ils attaquent, Fernand le sait, il sera massacré comme ses gardiens.

Lodi est une ancienne colonie de vacances de la compagnie des Chemins de fer algériens. Les bâtiments blanchis à la chaux du « Petit cheminot de la montagne» sont un peu délabrés. Trois dortoirs, une courette, un terrain de sport défoncé ... Mais des fenêtres, on aperçoit les forêts de chênes et les monts enneigés du Titteri. À l'automne 1955, les barbelés ont commencé à grimper autour des baraques. Un officier de la police judiciaire s'est installé dans le fauteuil du directeur. Une vingtaine de gendarmes mobiles, de CRS et de bérets rouges monte désormais la garde, jour et nuit. Et dans les dortoirs, il n'y a plus de fils de cheminots mais des instituteurs, des avocats, des médecins, des dockers, des électriciens, des plombiers, un sous-préfet de rang qui s'occupait des réceptions au gouvernement général d'Alger, des tuberculeux, des cardiaques, des handicapés, des mutilés ...

Tous suspects, comme Fernand, de sympathie ou de soutien à l'indépendance algérienne. Tous enfermés sans être passés par la case justice. Ceux qui ne sont pas venus à Lodi en camion militaire, mais en train, au départ des gares d'Alger ou de Blida, sont montés dans les wagons sous les huées. Les autres passagers les ont traités d'assassins, de terroristes. Dans l'Algérie en guerre, il n'y a pas pire espèce qu'un pied-noir anticolonialiste.

En mai 1958, quand le général Massu va former un Comité de salut public, que des milliers de manifestants forceront les grilles du gouvernement général d'Alger et se précipiteront dans le grand bâtiment blanc, la foule hurlera: « Vive l'Algérie française! » «Non à l'indépendance! » Mais aussi: «En route! Tous à Lodi! » Le directeur du camp mettra alors son costume sombre et convoquera les prisonniers dans la cour centrale, sous le soleil ardent. Pour leur annoncer qu'un car de CRS, venu d'Alger, doit arriver afin de renforcer la surveillance, mais qu'en attendant, par sécurité, il vaut mieux rester enfermé dans les dortoirs. Les internés, la chemise chiffonnée, le menton mal rasé, écouteront sans se faire d'illusions. Ils ne donnent pas cher de leur peau si les ultras de l'Algérie française débarquent les armes à la main.

À Lodi, l'ennui tombe sur Fernand dès son arrivée. Avec des journées qui semblent ne jamais devoir finir. Des soirées où il faut rester enfermer à double tour, dès 20 heures, agglutinés à cinquante par dortoir, dans les relents de sueur et de linge sale. Les visites des familles sont rares. Clarisse ne vient presque jamais le voir. Le voyage est trop éprouvant. Pour passer le temps, les prisonniers improvisent des cours (français, russe, arabe, mécanique, histoire, rédaction, philosophie, économie politique, calcul. .. ), montent des conférences sur la tragédie grecque ou le cortex, bricolent des pièces de théâtre, Knock de Jules Romains, Topaze de Marcel Pagnol, organisent des tournois de ping-pong, de volley-ball, de pétanque, lisent et relisent les mêmes livres. Beaucoup restent couchés toute la journée.

Les lectures sont surveillées comme le lait sur le feu. Le courrier personnel est épluché.

Fernand est tout de suite repéré. Il écrit régulièrement à un musulman, Mohamed Fares, qui habite la Casbah, à Alger, considérée par l'armée comme infestée d'indépendantistes, et à des enseignants du collège Petitjean, au Maroc, jugés suspects eux aussi. Lui, qui ne peut se passer de sa lecture quotidienne du Monde, est malheureux comme les pierres. La plupart des journaux sont bannis, les radios, traquées, les livres, soigneusement sélectionnés. Le directeur du service central des centres d'hébergement à Alger a interdit de séjour à Lodi Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, La Tête des autres de Marcel Aymé, Les Grandes Familles de Maurice Druon, et même La Peste d'Albert Camus. Camus, l'écrivain du pays, celui qui, dans quelques mois, en octobre 1957, va recevoir à Stockholm, en Suède, le prix Nobel de littérature.

20 mars 2011

Le printemps est arrivé

10:26 Écrit par Pataouete dans Mes humeurs, Musique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : le printemps, michel fugain, big bazar

19 mars 2011

Melissmell "Aux Armes"

Tout au long des hommages rendus à Jean Ferrat pour ce Dimanche anniversaire de son départ, j'ai découvert une jeune chanteuse qui a frappé mon esprit et surtout, qui a écrit et interpreté une nouvelle version, ginsbarisée, de la Marseillaise. Une version qui me convient mieux, une version moins "sang impur abreuve nos sillons" !

Je vous la laisse découvrir ou apprécier de nouveau.

Allons enfants de la patrie
Le jour de gloire est terminé
Entre nous deux, la tyrannie
Sous l'étendard, sang est levé

Entendez vous dans nos campagne,
Mugir nos pauvres, de faim de froid?
Qu'ils viennent jusque dans vos bras,
Pleurer dans nos ville, nos sarcasmes

Aux armes aux armes
Et cætera

Que veut cette horde de militaires
De traîtres et de rois conjurés?
Pour qu'ils nous prennent, quand ils nous traitent
De cons, de braves, de pauvres français!

Quoi? Ces cohortes étrangères
Feraient la lois dans nos foyer?
Quoi? Nos flics, soldats, mercenaires,
Alors qu'on est tous étrangers !

Aux armes aux armes
Et cætera

L'État comprime et la loi triche
L'impôt se rie des malheureux
Nul devoir ne s'impose aux riches
Le droit du pauvre est un mots creux

Des preuves qui se ramassent à l'appel
L'égalité n'existe pas
Pas de droits sans devoirs dit elles
Égaux à la naissance parfois...

Liberté lie bêtes et chérie
Ceux qu'on la tune, n'ont que l'odeur
Amour sacré de la patrie
Et la fraternité se meurt.

Aux armes aux armes
Et cætera

C'est la lutte finale
Un combat d'initiés
Sont les perdants qui gagnent
Nos dames « émancipées »
Les médias sous le rois
Mon peuple articulé
D'un pantin au long bras

Faut pas venir pleurer...

Aux armes aux armes
Et cætera
Faites entrer l'accusé!

 

 

07:26 Écrit par Pataouete dans Mes humeurs, Musique | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : melissmell, aux armes

18 mars 2011

Ma France

Dans le cadre du Printemps des poètes, ma petite contribution par un texte qui, je trouve, correspond bien à mon état d'esprit. Publié en 1969.

Ma France

Jean Ferrat

De plaines en forêts de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine
Je n'en finirai pas d'écrire ta chanson
Ma France

Au grand soleil d'été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France

Celle du vieil Hugo tonnant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont monsieur Thiers a dit qu'on la fusille
Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette
Des lèvres d'Éluard s'envolent des colombes
Ils n'en finissent pas tes artistes prophètes
De dire qu'il est temps que le malheur succombe
Ma France

Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une
Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs
En remplissant l'histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstiné de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain
Ma France

Qu'elle monte des mines descende des collines
Celle qui chante en moi la belle la rebelle
Elle tient l'avenir, serré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France

 

07:24 Écrit par Pataouete dans Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : ma france, jean ferrat

16 mars 2011

Les Juifs Berbères

Je voudrais profiter du témoignage de Nathalie Funes : "Mon Oncle d'Algérie" pour évoquer les Juifs Berbères. Ces tribus berbères dont l'origine se perd dans la nuit des temps antiques.

Ils furent plus tard rejoints par le juif arabo-andalou chassé d'Espagne par les Rois catholiques mais sans osmose entre les 2 communautés.

 

algérie,juifs berbères,nathalie funes,mon oncle d'algérie"À peu de temps près, le père de Fernand aurait pu naître français. Il est né indigène. Au matin du 6 mars 1869. Un an et sept mois avant le décret Crémieux de naturalisation des Juifs d'Algérie. La famille habite le long d'une allée de platanes, à Boufarik, dans une maison insalubre de la rue Duquesne, la principale artère du bourg. À une heure par le train d'Alger. La ville est restée longtemps un marais infesté de moustiques et de sangliers. Les eaux stagnantes empestaient. Les fermiers français qui s'installaient là ne résistaient pas. Ils mouraient, les uns après les autres, de paludisme ou d'une infection. Même les corneilles ne pouvaient vivre, disait le dicton. C'est devenu l'un des plus beaux vergers de la Mitidja, la longue plaine littorale de l'Algérie, bordée au sud par l'Atlas. Les vignes et les oliviers s'étendent à perte de vue. Ils ont même reçu la visite de l'empereur Napoléon III lors de son voyage dans la colonie, au printemps 1865. Le marché du lundi, avec ses moutons repus et ses oranges gorgées de sucre, est l'un des plus courus de la région.

algérie,juifs berbères,nathalie funes,mon oncle d'algérieLes Doukhan n'en profitent pas beaucoup. Il naît un enfant tous les deux ans. Il en meurt presque autant. De diphtérie, de malaria, de scarlatine, d'angine. Le suivant sur la liste des naissances reprend le prénom du défunt. Ils sont huit à atteindre l'adolescence. Jacob, Aziza, Saül, le troisième, Abraham, Fortunée, Clara, Nedjema. Et Adolphe, le benjamin. Comme beaucoup de garçons de sa génération, il a été baptisé ainsi en hommage à Adolphe Crémieux, le père du décret.

Tous s'entassent dans une seule pièce, dorment à plusieurs, tête-bêche, dans les mêmes lits. Le matin, Jacob, l'aîné, va chercher de l'eau au puits. Le soir, ses frères et sœurs se serrent autour du kanoun, le fourneau arabe, qui marche au charbon de bois. Les parents, la mère, Ester, avec son foulard noir qui tombe sur les épaules, sa robe noire qui descend sur les pieds, Isaac, avec son pantalon bouffant et sa chéchia enrubannée, le couvre-chef des musulmans, ont toujours l'air fatigué. La famille embrasse la main du père le vendredi soir, pour le shabbat. C'est l'un des rares signes de respect auxquels il a droit. Isaac travaille comme simple journalier. Le plus humble des métiers. Il part à l'aube, chaque matin, au vieux puits à dôme gris de la place du marché, le lieu de rendez-vous de ceux qui viennent louer leurs bras à la journée. Il ramasse les olives dans les fermes des colons, il écrase le raisin avec ses pieds, il fabrique des fagots, il tisse du coton et du lin, dans l'usine, à la sortie de Boufarik. Il revient le soir, brisé, avec un franc cinquante en poche. À peine de quoi nourrir ses enfants.

algérie,juifs berbères,nathalie funes,mon oncle d'algérieLes Doukhan comprennent mal le français, parlent arabe à la maison. À Boufarik, il n'y a même pas de synagogue pour la vingtaine de familles israélites. Une simple bicoque, avec une pièce unique, fait l'affaire. Le rabbin est un commerçant qui est censé toucher un peu d'argent pour l'abattage rituel des animaux. Mais le boucher ne le paye plus depuis longtemps. Ici, comme souvent en Algérie, le judaïsme est fait de superstitions et de suspicions, avec des amulettes pour éloigner les sorciers, des rituels de purification sans grands principes théologiques, des cérémonies dominées par les cris et les pleurs. Les émissaires, dépêchés par la communauté française pour observer les traditions de leurs homologues algériens, n'en reviennent pas d'entendre les femmes juives hurler, comme les Arabes, des youyous stridents aux mariages et aux enterrements. Les gamins de Boufarik ne bénéficient d'aucune instruction religieuse. Ils apprennent juste à déchiffrer l'hébreu.

C'est le seul enseignement que reçoivent les fils Doukhan. Personne ne va à l'école. Les garçons sont envoyés chez le relieur ou le matelassier du coin dès qu'ils ont dix ans, les filles dans les maisons bourgeoises pour faire, le ménage ou garder les petits. Les premiers établissements scolaires ont pourtant ouvert dans l'Algérie française. Il y a des enseignements publics, souvent dispensés par les congrégations catholiques. Mais il faut payer les stylos, les cahiers, les vêtements, les chaussures. Quand les lois de Jules Ferry sont votées, en 1881-1882, que l'école devient laïque, gratuite et obligatoire, Saül Doukhan a douze ans. Il est déjà orphelin. Le père est mort l'année de ses cinquante et un ans, la mère de ses quarante, épuisés.

La famille venait d'emménager à Alger. Elle s'était installée impasse Kléber, tout en haut de la Casbah. Là où la lumière est si aveuglante, le matin. Le quartier mauresque est assis sur la colline. Une cascade blanche de maisons et de ruelles enchevêtrées qui tombe dans la mer. On ne croise que des musulmans et des Juifs dans les passages tortueux. Les Doukhan espéraient trouver une vie plus facile, le père, un travail régulier, la mère, des cousins qui puissent l'aider, elle qui est née là. Ils laissent des petits qui savent à peine marcher. Saül n'a pas de chance. Son frère aîné, Jacob, meurt, lui aussi, l'année suivante, d'une mauvaise fièvre. Il a quinze ans. Le sellier chez qui il travaillait, et le chaouch, l'huissier, du consistoire, l'institution chargée du culte hébraïque, s'occupent d'aller déclarer son décès à l'officier d'état civil de la mairie d'Alger. Il n'y a plus d'adulte vivant, dans la famille, pour le faire.

Les Doukhan sont de culture arabo-berbère, comme la moitié des Juifs du pays. Leur nom vient du mot arabe dukhân, qui signifie fumée. Dans l'Algérie coloniale du XIX siècle, ils sont à peine mieux considérés que les musulmans. Ils ont souvent les mêmes origines, ils portent le même patronyme, ils parlent comme eux, vivent comme eux, dans les mêmes quartiers, avec les mêmes traditions. Ils étaient là avant 1830, avant les Français, avant les Arabes. Peut-être depuis l'Antiquité. On a retrouvé les traces de Juifs au Maghreb à l'époque de Carthage. Ils ont suivi les commerçants phéniciens, qui ont fondé Annaba, Tipaza, Cherchell, Alger, les premiers comptoirs de la côte méditerranéenne. Ils se sont mêlés aux Berbères de l'intérieur du pays et les ont convertis. Ils ont ensuite vu arriver les séfarades, les Juifs d'Espagne qui fuyaient les massacres, en 1391, puis ceux que les rois catholiques ont bannis, en 1492. Ce sont des Juifs en terre d'Islam, des « dhimmis », des « sujets protégés », comme les chrétiens, l'autre religion du Livre, qui vivent en culottes bouffantes, burnous noir et pantoufles, mais qui ne sont pas des citoyens de la cité musulmane.

Le père, Isaac Doukhan, racontait souvent à ses enfants tout ce qui était interdit au grand-père Jacob, né à la fin du XVIIIe siècle, du temps de la Régence turque d'Alger, et qui était mercier à Blida, à une quinzaine de kilomètres de Boufarik. Pas le droit d'étrenner du vert, la couleur réservée aux descendants du Prophète, mais du noir, avec une calotte, jamais entourée d'un turban, juste d'un mouchoir. Pas le droit de posséder des armes ou de circuler avec un falot allumé, la nuit. Seulement avec une petite bougie tenue à la main. Pas le droit de monter sur un cheval, animal trop noble. Uniquement sur un âne ou un mulet, et sans selle. Lorsqu'il croisait un musulman, le grand-père Jacob devait lui céder la droite et passer à gauche en signe de respect. Il se déchaussait devant les mosquées et les écoles religieuses. Il détournait la tête pour ne pas regarder les fidèles en train de prier, sous peine d'être roué de coups. Sa maison devait être moins haute que celles des musulmans. Ses chaussures, ouvertes sur le talon, étaient trop courtes. Pour que son pied touche le sol, en signe d'humilité.

algérie,juifs berbères,nathalie funes,mon oncle d'algérieQuand les troupes françaises du roi Charles X débarquent dans la baie de Sidi Fredj, à l'ouest d'Alger, en juin 1830, il y a 25 000 Juifs en Algérie, comme les Doukhan, organisés en «nation ». Avec un «roi », un mokdem, responsable des impôts, et des tribunaux rabbiniques, chargés de la justice. Ce sont le plus souvent des petits artisans, des tailleurs, des brodeurs, des cordonniers, des menuisiers, des orfèvres, des bijoutiers, des boutiquiers, des colporteurs, et quelques bourgeois enrichis par le commerce. Cela fait trois siècles que la Régence turque d'Alger, un État autonome de l'Empire ottoman, est installée dans le nord de l'Algérie et impose aux Juifs le statut de dhimmis. La plupart se jette dans les bras de la France auréolée de ses idées de liberté, d'égalité et de fraternité. L'intégration est en marche. Il faut les civiliser, tous ces Doukhan qui vivent si chichement, ne savent pas écrire le français et croient au diable. Il faut qu'ils suivent le chemin de leurs homologues français, eux qui se sont pliés aux lois de leur pays. Un homme de soixante-quatorze ans, Adolphe Crémieux, ministre de la Justice, franc-maçon né dans une famille juive provençale, en fait un des derniers combats de sa vie. Le 24 octobre 1870, alors que les troupes allemandes campent autour de Paris, il soumet neuf décrets au gouvernement. Le plus célèbre est le numéro 136. « Les israélites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens français. En conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française; tous droits acquis jusqu'à ce jour restant inviolables. Toute disposition législative, décret, règlement ou ordonnance contraires Sont abolis. »

Du jour au lendemain, les Doukhan, Isaac, Ester, Saül, ses frères et sœurs, deviennent français et tombent sous les lois de la République. S'il y avait eu un peu d'argent dans la famille, les filles en auraient hérité. Contrairement à la coutume qui, jusque-là, voulait que seuls les fils touchent quelque chose à la mort des parents, et les aînés, deux fois plus que les cadets. IIs votent désormais aux élections et font leur service militaire. IIs n'ont plus le droit d'être polygames ou de divorcer, comme leurs ancêtres."

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