26 septembre 2009
Frantz Fanon et la frontière de l'invisible
J’ai donc assisté à cette conférence-projection à propos de Frantz FANON (ma note).
Frantz Fanon mémoire d’Asile
Autour du Film : « Frantz Fanon mémoire d’Asile », Abdenour ZAHZAH, auteur-réalisateur du film documentaire, Alice CHERKI, psychiatre et psychanalyste ancienne « disciple » de Fanon et sous la modération de Fafia DJARDEM s’est déroulée une projection débat tout à fait intéressante.
De la partie psychiatrique, un peu « entre spécialistes », j’ai retenu que Fanon s’était attaché à humaniser les soins. A ouvrir les pensionnaires vers des taches manuelles, intellectuelles ou sportives qui puissent sortir ses patients de leur isolement chimique, mécanique voir même carcéral.
Même en Hôpital Psy, les origines ethniques étaient distinguées. Frantz Fanon était responsable du pavillon des indigènes. Le film relate donc l’histoire de ce pavillon. Cependant, quelques images des blocs « européens » laissent entendre que le sort réservé aux malades « français » était plus humains.
Ce qui m’a choqué, c’est les images « reconstituées » de l’époque, filmées autour de 2000 et qui sont réalisées sans mise en scène…
Actuellement, ce HP est devenu le CHU Frantz Fanon de Blida et seul son pavillon est resté Psy.
Les Damnés de la Terre
Mais ce qui m’intéresse surtout c’est que Fanon, martiniquais d’origine et descendant d’esclave, à vite repéré les dégâts du colonialisme sur les peuples indigènes. Il s’est engagé dans le mouvement anticolonialiste. Je suis toujours très heureux à chaque fois que l’on peut rappeler que nombreux étaient les « européens » qui militaient pour plus d’Humanisme. Il a poussé son engagement en s’engageant dans la lutte pour l’Indépendance algérienne de 1954 à 1961 (date de son décès).
Ses principaux ouvrages, Peau noire, masques blancs (le Seuil) et les Damnés de la terre (éditions Maspero), ainsi que ses analyses sur le colonialisme et ses effets dévastateurs sur les peuples opprimés, eurent une influence considérable en Afrique, en Amérique latine (auprès de Che Guevara) mais aussi aux Etats-Unis (chez les Black Panthers).
Entendre cette théorie des effets dévastateurs du colonialisme sur les peuples opprimés m’a confirmé dans mon idée des dégâts de l’impérialisme du XIXème.
Il m’est aussi venu l’idée d’une réflexion sur l’impact psychologique sur les « européens » immigrés économiques ou politiques, survalorisés par les discours politiques, ignorés, utilisés et manipulés par des Généraux fascisants et qui finirent spoliés de leurs biens physiques et moraux. Contraints de revivre une immigration d’exode vers un pays dont leurs aïeux n’étaient pas tous originaires.
" La frontière invisible - Violences de l'immigration"
Le débat suivant, avec Alice Cherki, fut plutôt sous forme de questions-réponse. Il m’a surtout donné envie lire son dernier livre :
" La frontière invisible - Violences de l'immigration" (Elema, 2006).
Elle y rend visibles "les enfants de l'actuel" qui sont les descendants de parents anciennement colonisés qui ont à faire face au silence pétrifiant de l'histoire officielle et aux forces de "silenciation".
Elle réaffirme que ce qui n'a pas pu être élaboré, ni symbolisé est transmis de manière brute avec ses conséquences violentes et mortifères aux générations successives. Cette mémoire "encryptée " rend impossible l'exil psychique des "enfants de l'actuel" qui ont pour seule solution de basculer dans "l'identité originelle", mouvement qui ferait le lit des intégrismes.
Vaste débat non ?
11:02 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : blida, frantzfanon, alicecherki, anticolonialisme, immigration
20 mai 2009
Le Mouvement Anticolonialiste
En 1925, Léon Blum disait de son côté : « Nous admettons qu'il peut y avoir non seulement un droit, mais un devoir de ce qu'on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles les races qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de civilisation ».
Emergence de l’Anticolonialisme
C'est alors généralement dans les milieux libéraux que se trouvent les opposants à la colonisation. Ils s'opposent en particulier à cet argument selon lequel il faut apporter la liberté par la force. Yves Guyot écrit ainsi : « Il est étrange qu'il faille employer le canon contre les opprimés pour les délivrer de leurs tyrans ». Ils s'opposent au colonialisme, en particulier car il est pour eux le fruit du dirigisme et la volonté d'un État d'étendre son pouvoir. Guyot dénonce en particulier le colonialisme comme prolongement du « socialisme d'État ». Frédéric Bastiat a pour sa part dénoncé dans Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas l'erreur économique à vouloir coloniser l'Algérie pour s'approprier ses ressources.
Dans l'après-guerre, l’anticolonialisme est en liaison avec les mouvements indépendantistes dans les colonies. Ce nouvel anticolonialisme regroupe à la fois les mouvements d’extrême gauche, des intellectuels et une partie des catholiques (Témoignage Chrétien).
Le Parti Communiste Algérien (PCA) émergea en 1920 comme une extension du Parti communiste français (PCF), avec des noyaux (cellules) composés surtout d'ouvriers expatriés, européens dont nombreux français indésirables en métropole, ou ayant ouvert les yeux en Algérie après que leurs parents furent envoyés dans les colonies à la suite des insurrections la commune de Paris et autres révoltes plus récentes à cette dernière.
Le 12 septembre 1955 le parti fut interdit par les autorités françaises. Le parti s'orienta plus ouvertement vers le mouvement de libération nationale, et réussit quelques coups d'éclat dont la prise de la cargaison d'armes par l'aspirant Henri Maillot. En septembre 1956, le mathématicien Maurice Audin organise l'exfiltration clandestine, vers l'étranger, du premier secrétaire du PCA, Larbi Bouhali, avant d'être lui-même arrêté et assassiné lors de la « bataille d'Alger ».
Henri ALLEG
En 1940, il s'installe en Algérie. Il milite au sein du Parti communiste algérien. En 1951, il devient directeur du quotidien Alger Républicain. Il entre dans la clandestinité en 1955, date d'interdiction du journal en Algérie. Il continue cependant à transmettre des articles en France dont certains sont publiés par l'Humanité.
Il est arrêté le 12 juin 1957 par les parachutistes de la 10e D.P, au domicile de Maurice Audin, son ami, arrêté la veille et qui sera torturé à mort.
Henri Alleg est séquestré un mois à El-Biar, où il est torturé et subit un interrogatoire mené après une injection de penthotal. Il est ensuite transféré au camp de Lodi où il reste un mois, puis à Barberousse, la prison civile d'Alger. C'est là qu'il écrit La Question, dissimulant les pages écrites et les transmettant à ses avocats.
Dans La Question, il raconte sa période de détention et les sévices qu'il y subit, en pleine guerre d'Algérie. Tout d'abord publié en France aux Éditions de Minuit, l'ouvrage est immédiatement interdit. Nils Andersson le réédite en Suisse, quatorze jours après l'interdiction le frappant en France en mars 1958. Malgré son interdiction en France, ce livre contribue considérablement à révéler le phénomène de la torture en Algérie.
« Alger Républicain dit la vérité, il ne dit rien que la vérité, mais il ne peut pas dire toute la vérité ».
Ce slogan est devenu le symbole même de l’existence du journal, pour nous rester actuel. Il est rappelé par plusieurs Algériens retrouvés par Henri Alleg, en 2003, dans le cadre du travail documentaire de Jean Pierre Lledo.
Le camp de Lodi
C’est dans cette ancienne colonie de vacance des Chemins de Fer, que des centaines de militants de la cause anticolonialiste, de toutes obédiences de gauche, furent internés à partir de 1955, sans autre forme de procès.
J’ignore ce qui advint aux internés avant leur arrivé mais il est certain qu’enfermer des hommes pendant plusieurs années dans un camp de rétention, sans décision judiciaire est déjà une forme de torture morale.
Mon père n’a jamais adhéré à aucun parti politique, il n’a donc pas, au début de la guerre, été inquiété, mais il était militant et responsable de la Fédération CGT des Cheminots. Il connaissait donc plusieurs des copains internés.
Pour ma part je percevais quelques bribes de conversation à ce sujet mais mon souvenir principal est celui de ma mère remplissant deux couffins de victuaille et les portant à la gare pour qu’ils soient acheminés, parmi tant d’autres, par les femmes des copains leurs rendant visite.
Je voudrais d’ailleurs rendre hommage à Mimi et Marcel qui ont guidé mes premiers pas en conscience.
L’après Lodi
Je me souviens de leur libération mais plus de la date. Par contre, dès le début des mouvements activistes, ils furent de nouveau inquiétés, menacés. Beaucoup furent abattus, d’autres se réfugièrent en métropole pour échapper à l’assassinat.
Après l’indépendance, certains refusèrent de retourner en Algérie, ils avaient assez donné. D’autres y retournèrent dès l’automne et s’impliquèrent dans le développement de l’économie algérienne. Cependant, la chasse aux communistes, l’arabétisation de l’enseignement, les discriminations raciales (chacun son tour), eurent vite raison de ces idéalistes.
De 1 à 5 ans, je ne connais personne qui y soit resté.
Trois ans après son retour, mon père mourut.
08:20 Écrit par Pataouete dans L'Algérie, L'Algérie Le Camp de Lodi | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : algérie, anticolonialisme
05 avril 2009
EL BI'R Le Puits
Intéressé par la présence de Gilbert Meynier, historien spécialiste de l'histoire de l'Algérie, à la conférence qui a suivi la projection, j'ai assisté, pour la troisième fois, à la projection du film : EL BI'R Le puits.
Outre ce film, j'ai établi des contacts avec un certain nombre de personnes, comme moi passionnés par l'histoire de L'Algérie qui m'ont promis de visiter ce Blog. Ils seront les bienvenus et j'espère bien qu'ils apporteront leurs contributions à cet édifice.
Le film de Béatrice Dubell est une première en ce qu’il est une synthèse documentaire visuelle sur des faits méconnus : les engagements de fraternité humaine entre Algérien(ne)s et Français(es), à contre-courant de la sale guerre à contretemps de reconquête coloniale de 1954-1962. Certes, ont bien été publiés des livres sur la Fédération de France du FLN, ou sur les « porteurs de valises » – le plus récent est dû à un historien britannique, Martin Evans, qui vient d’être publié en français[1] –, ainsi que des mémoires de ces militants engagés dans le combat algéro-français solidaire. Mais ces livres demeurent peu connus, et ils restent passablement confinés à quelques cercles de militants et de spécialistes. Et tous, ou presque, traitent des réseaux centrés sur Paris – réseau Jeanson, puis réseau Curiel. A la différence du sujet traité dans el bi’r (al bi’r[2]), ces réseaux n’avaient pas de lien particulier avec le catholicisme.
Béatrice Dubell, elle, a donné, en les filmant simplement, avec rigueur et sans affectation, la parole à des témoins/acteurs – algériens et français – inconnus, aux antipodes du vedettariat. L’émotion ne se relâche pas tout au long du film, des souvenirs bouleversants du regretté Amor Ghezali, qui fut l’un des dirigeants qui se succédèrent à la tête de la wilâya 1 [3], à l’évocation enthousiaste d’une dame algéro-lyonnaise de sa première machine à laver.
Cela dans le cadre de Lyon, cité qui n’est souvent guère mentionnée que pour l’affaire dite des « prêtres du Prado ». La ville, qui avait été la capitale de la Résistance antinazie, était aussi un foyer essentiel du catholicisme social. Elle abritait une trentaine de milliers de Maghrébins, très majoritairement algériens – harcelés par la police, arrêtés et emprisonnée par centaines, politiquement et socialement précarisés.
Toute agnostique qu’elle soit, Béatrice Dubell a choisi de faire connaître l’organisation des solidarités algéro-françaises émanées du milieu catholique lyonnais. Assez homogène, ce milieu fut chronologiquement le premier à militer en faveur des Algériens exploités, discriminés et réprimés par le système colonial ; cela jusqu’en avril 1959, date de l’arrestation de Mahmud Mansouri, de son nom de guerre Séoud, qui dirigeait alors la wilâya de Lyon. Prit, en quelque sorte, par la suite le relais un réseau davantage marqué à gauche et sans références religieuses, mais plutôt moins homogène : sous l’impulsion de l’homme de théâtre Jean-Marie Boëglin, s’y côtoyaient des libertaires et autres sans partis – parmi eux des protestants – et des communistes à la marge : le portage de valises était un motif d’exclusion automatique du PCF en cas d’arrestation. Alors que, après 1962, nombre de militants de ce réseau devinrent amers, au point de souvent rompre avec l’Algérie réelle, les catholiques, eux, ne furent pas coupés de leur institution religieuse ; ils furent moins noyés de désillusion, et ils gardèrent davantage de liens – discrets mais réels – avec l’Algérie des Algériens.
Ne nous y trompons pas : le cardinal archevêque de Lyon et primat des Gaules Monseigneur Gerlier, ne fut pas un porteur de valises. Mais il avait chargé ses prêtres d’une mission d’entraide et de solidarité avec les Algériens de Lyon. Parmi eux, émerge la figure d’Albert Carteron. Ce prêtre ouvrier avait déjà séjourné en Algérie dès avant 1954. Balayeur à l’hôpital de Constantine, il en fut expulsé en 1955. Dès lors, son petit appartement de la rue Villeroy, au cœur du Lyon algérien de la place du Pont – aujourd’hui plombée par un insipide et roide immeuble en verre – servit de havre à ses frères algériens : ils furent en permanence cinq ou six à y demeurer avec lui. Après la guerre, il retourna à Constantine, il suivit une formation d’infirmier. Puis, dans une région particulièrement pauvre en encadrement médical, il se dépensa sans compter, totalement absorbé par sa tâche, jusqu’à sa mort en 1992, à 80 ans, dans un accident de voiture à El Kantara – entre Batna et Biskra. Ainsi vécut-il sa foi, dans la discrétion d’un engagement que nombre d’athées, marxistes ou autres, peuvent comprendre et partager – au demeurant, ce prêtre, qui, aussi, pensait et rédigeait, avait une culture marxistes non négligeable.
Pendant la guerre d’indépendance, les Algériens de Lyon avaient surnommé Albert Carteron al bi’r : le puits, en arabe - l’homme des secrets bien bien cachés. Le film de Béatrice Dubell est plus qu’une margelle : il permet de retrouver l’eau du passé enfoui, du passé qui dérange, et la France, et un certain catholicisme conservateur. C’est aussi un puits de lumière sur le monde décisif des petits et des sans grade qui, quasi souterrainement, font aussi l’histoire. Il remet à leur morne place les idéologues crispés de la prétendue « identité nationale ». Il renvoie dos à dos les lobbies de mémoire qui tonitruent sur place au nord de la Méditerranée et, au sud, cet obscurantisme structurel qui poigne l’Algérie, et que tentent de secouer tant d’engagements multiformes dans la société civile. Voilà un film qui vaut mille fois plus qu’une « repentance » – terme religieux que l’auteur de ces lignes récuse parce qu’il a trop de respect pour les religions pour en mésuser : une reconnaissance de responsabilités par l’État français dans les traumatismes causés par le système colonial serait un acte politique fort, un acte d’honnêteté et un acte d’humanité. Et c’est bien ce à quoi convie implicitement al bi’r : l’œuvre de Béatrice Dubell met en évidence ce que furent ces responsabilités premières, et où elles furent. Bi’r provient de la racine ba’ara – ba’ara c’est creuser un puits, mais en optique, c’est, aussi, focaliser.
Son film citoyen montre aussi que le pire n’est pas forcément programmé, et que les solidarités humaines font, aussi, partie de l’histoire. Elle rappelle pudiquement que, au-delà des religions, des cultures, des tabous et des formalisations politiques vulgaires, il s’est trouvé des humains – appelons les si l’on veut, ici, « algériens » et « français » – pour que la devise « liberté, égalité, fraternité » soit un objectif premier et une réalité vivante. En particulier, elle prouve, si besoin en était, qu’il n’existe pas de muraille de Chine entre les religions, en particulier entre les trois religions monothéistes : au XIIe siècle, l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable tenait pour vrai que l’islam était une variété de christianisme.
Al bi’r invite à méditer sur les voies et moyens d’un avenir partagé de respect et de concorde de part et d’autre de la Méditerranée qui soit autre chose qu’un fourre-tout combinant médiatisation et marché ; je le ressens comme un message d’espoir, aussi bien, ici, pour les jeunes d’ascendance algérienne désorientés que, là-bas, pour les harragas désespérés. Mon maître et ami, le regretté Pierre Vidal-Naquet – qui enseigna l’histoire grecque à l’université de Lyon peu après la fin de la guerre de 1954-1962, et qui avait naguère été, notamment, le militant anticolonialiste résolu et le dreyfusiste rigoureux du comité Audin – pensait que l’historien qui se respecte est, aussi, indissociablement, un citoyen. Al bi’r est un matériau désormais incontournable pour le champ historien et un document pédagogique lumineux sur lequel les citoyens auront à réfléchir pour édifier leur futur.
Gilbert Meynier
[1] Mémoires de la guerre d’Algérie, L’Harmattan, Paris, 2007. Original : The memory of resistance : French opposition to the Algerian war (1954-1962), Berg, Oxford-New York, 1997
[2] La transcription coloniale, qui est aussi la plupart du temps, aujourd’hui, la transcription algérienne ordinaire, est el bi’r. La translittération phonétique internationale donne al bi’r. Question de convention. Ceci dit, cette dernière est usuellement reconnue comme internationalement valable par les scientifiques.
[3] Nom des circonscriptions de la Fédération de France du FLN – c’était le même nom qui était utilisé en Algérie pour désigner les six circonscriptions établies par le congrès de la Soummam en août 1956.
15:10 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : algérie, anticolonialisme, el bir, gilbert meynier