23 mars 2011
Le Camp de Lodi, Ambiance
Même le directeur du camp semble trouver le temps long. II fait toujours les mêmes commentaires, mois après mois, dans ses rapports à la préfecture. «L'insuffisance des rations alimentaires» dont se plaignent les prisonniers. Le froid qui sévit, alors qu'il n'y a « que des couvertures en coton ». Le surpeuplement (<< Je vous serais en conséquence obligé de faire diriger les nouveaux hébergés éventuels sur d'autres centres»). L'eau des douches «à peine tiède ». Les lits « collés les uns aux autres.», dans les trois dortoirs, simplement désignés par les lettres A, B et C. La moyenne « de dix mètres cubes d'air par prisonnier, contraire à la législation hospitalière qui prévoit un cubage triple ».
« L'atmosphère confinée », écrit le directeur, présente «des risques [...] au cas où une simple épidémie de grippe se déclencherait ». C'est ce qui arrive, quelques semaines plus tard, à l'hiver 1957. La moitié de la France est au lit. Dans le camp, tout le monde est malade. II faut barricader deux chambres, pour éviter que l'épidémie se propage, les transformer en infirmerie de fortune. Fernand est assommé par quarante de fièvre.
Ils sont cent quarante, cent cinquante prisonniers, selon les périodes. Avec, chaque semaine, de nouvelles arrivées, de nouveaux départs.
Les arrestations se font par vagues: syndicalistes, grévistes qui ont répondu à l'appel du FLN ou du MNA, comme Fernand, membres d'associations religieuses qui ont ouvert, un jour, leur porte à un fellagha, avocats qui ont défendu des indépendantistes ... Par deux arrêtés préfectoraux successifs, en février 1957, le couperet tombe sur quatorze membres du barreau d'Alger. Albert Smadja a défendu Fernand Iveton, le seul Européen guillotiné de la guerre d'Algérie, condamné à mort pour avoir tenté, en vain, de faire sauter une bombe contre l'usine à gaz d'Alger. Il est arrêté le 13 février 1957. Deux jours après l'exécution de son client. Ce jour-là, l'avocat doit rendre à la famille un sac d'affaires personnelles récupéré à la prison algéroise de Barberousse, où Fernand Iveton a vécu ses derniers jours. Les policiers l'attendent à son domicile, rue Jean Jaurès, à Bab EI-Oued. Ils veulent lui passer les menottes. L'avocat refuse. « D'accord, grommelle un responsable, mais s'il bouge: une balle dans la peau. » Il restera détenu presque deux ans à Lodi. Beaucoup ne comprennent même pas ce qu'ils font là. Parmi les internés, il y a un propriétaire terrien de la Chiffa, suspecté par les militaires parce que sa ferme est la seule du village à ne pas avoir été brûlée par le FLN. Et deux cordonniers qui ont vendu des chaussures à des indépendantistes sans rien savoir de leurs activités.
Mais ce sont les anciens membres du Parti communiste algérien, dissous, qui sont les plus nombreux. Leur ramassage a commencé en novembre 1956. Alger est devenu une souricière. Chaque fois, les policiers arrivent à l'aube, dans la lumière d'automne gui filtre à travers les volets. Au moment où la ville s'éveille doucement. «Police! Ouvrez! » La phrase est toujours la même. Ils surgissent en hurlant, un papier dans la main droite. « Vous êtes en état d'arrestation. Voici votre avis d'assignation à résidence. » Les communistes tombent comme des mouches. Même René Justrabo, ancien maire respecté de Sidi-Bel-Abbès et représentant de la Chambre algérienne. Quand la police a frappé à sa porte, il s'apprêtait à sauter dans le bus bondé qui le conduisait, chaque jour, des hauteurs d'Alger, où il habitait, au quartier de Belcourt où il travaillait. C'est dans un camion militaire qu'il est finalement monté.
L'ancien élu prend le commandement officieux des prisonniers de Lodi. Il organise la résistance psychologique. Il pousse les internés à alerter leurs relations célèbres ou haut placées. À déposer des recours contre leur emprisonnement auprès du tribunal administratif, en invoquant des vices de forme. La plupart des avis d'assignation à résidence ne sont même pas signés de la main du préfet, mais d'un sous-fifre qui passait par là. Fernand rédige une lettre à la justice, aidé par les avocats du camp. Il recevra sa convocation au tribunal administratif deux mois après avoir quitté l'Algérie.
Le directeur de Lodi s'agace. « L'activité de l'hébergé Justrabo s'est manifestée cette quinzaine par l'envoi de nombreuses lettres à des présidents de groupements, des parlementaires, des directeurs de journaux pour protester contre l'hébergement des assignés, écrit-il dans son rapport. De plus, il a été à l'origine de plusieurs manifestations bruyantes de mécontentement de la part des hébergés. Son éloignement de plus en plus souhaitable ramènerait la tranquillité à Lodi. » Le préfet d'Alger songe à expatrier René Justrabo à Djorf dans l'Atlas saharien, un des endroits les plus froids de l'Algérie. Là-bas, le camp est entouré de miradors. Les chars tournent autour des barbelés vingt-quatre heures sur vingt quatre. Il n'y a pratiquement que des musulmans. Et les détenus dorment par terre, sur des nattes en alfa.
Fernand l'anarchiste n'est pas très à l'aise au milieu de tous ces communistes. Il signe les pétitions, joue quelquefois au volley-ball, assiste aux représentations théâtrales ... Mais la plupart du temps, il préfère rester seul. Dans le bloc C où il est installé. Le monde est petit en Algérie. Son lit est collé à celui de Paul Amar, un de ses voisins de Bab El-Oued, qui habite rue Condorcet, à deux pas de chez lui. Blond, frisé, les yeux bleus, des petites lunettes rondes de fort en thème. C'était le Chouchou de sa mère.
Le directeur affiche ce jour-là un large sourire et lui propose de s'asseoir. «J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer, monsieur Doukhan, vous pouvez préparer vos affaires, vous êtes libre. » Un temps, un silence. «Mais, malheureusement, vous ne pouvez pas continuer de vivre ici, en Algérie, vous êtes un élément trop perturbateur, vous allez devoir partir.» Fernand l'avait redouté. Comme beaucoup d'internés de Lodi avant lui, il est expulsé du pays où il est né, où il a toujours vécu. Le directeur tend un bout de papier, comme pour s'excuser. Un courrier de la préfecture. Encore un. «Doukhan Fernand, 6, rue du Roussillon, à Alger, devra quitter l'ALGÉRIE le 8 avril 1958 au plus tard. » Algérie y est écrite en lettres majuscules.
07:44 Écrit par Pataouete dans L'Algérie Le Camp de Lodi | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : algérie, lodi
Commentaires
C'est complètement fou ! il faut te lire !
Écrit par : noelle | 23 mars 2011
Toujours et toujours je voudrais leurs rendre hommage !
Écrit par : Pataouète | 24 mars 2011
Bravo ! tu fais çà très bien ! bel hommage !
Écrit par : noelle | 24 mars 2011
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