08 novembre 2009
Qui a peur de la "Laïque" ?
Qui a peur de la « laïque» ?
PAR ALEXIS LACROIX
Voici le livre que devraient méditer les réformateurs fiévreux du système scolaire, à commencer par ceux qui siègent actuellement au gouvernement.
De l'école, de Jean-Claude Milner, (lien) a beau avoir 25 ans, cet essai ciselé n'a rien perdu de sa pertinence ni, hélas, de son actualité. Les éditions Verdier, auxquelles Milner a donné une grande partie de sa production, peuvent donc le rééditer sans la moindre retouche : en ces temps sarkozystes, le diagnostic implacable qu'y formule le célèbre linguiste reste aussi pertinent qu'aux prodromes de l'ère mitterrandienne. Souvenons-nous : en mai 1984, quand les premiers exemplaires de « De l'école » arrivent sur les étals des libraires, la guerre scolaire bat son plein dans l'Hexagone. En soutenant cette école qu'elles nomment « libre », les fractions les plus rétrogrades de la droite savourent leur revanche. Elles ont trouvé un prétexte pour en découdre avec l'enseignement laïc des hussards noirs. Pourtant, cet affrontement, si spectaculaire et médiatisé fût-il, apparut tout de suite à Milner comme un écran de fumée. C'est la première thèse de ce livre détonant : « Sait-on qu'il y a deux querelles scolaires et que la plus célèbre - séparant l'école publique de l'école privée - n'est ni la plus vraie ni la plus acharnée? Sait-on qu'une autre querelle, traversant l'école publique elle-même, y oppose les amis du savoir à ceux qui en réalité les haïssent? »
Dans ces lignes, Milner, sans le nommer ainsi, met déjà en joue ce « pédagogisme» qui, au prétexte d'installer l'élève au centre du dispositif, affaiblit l'école et calomnie les savoirs. Mais le plus innovant, le plus génial aussi, dans « De l'école », c'est l'intuition que le conflit des tenants du savoir et des champions de la pédagogie dissimule à son tour une autre querelle française, tapie dans les recoins de notre présent : d'un côté, ces adeptes du caractère féodal de la transmission, qui ne rêvent aujourd'hui que « d'adapter» l'enceinte scolaire à la société, tout en restaurant sans vergogne les charges héréditaires : Milner montre aisément l'ascendance jésuite de leurs obsessions et de leurs stratégies; de l'autre, le pari, d'origine protestante, sur la portée émancipatrice de la connaissance.
Lire (ou relire) Milner, quoi qu'on pense, par ailleurs, du systématisme de sa démonstration : c'est l'urgence de l'heure.
De l'école, de Jean-Claude Milner, Verdier poche, 9,50 €.
07:48 Écrit par Pataouete dans Livre, Républiques citoyennes | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : l'école, milner