29 septembre 2009
Avoir 20 ans dans les Aurès
"Des Hommes"
(Minuit)
Laurent Mauvignier
Avec "Des hommes" (Minuit) Laurent MAUVIGNIER tente d'exorciser les démons d'une guerre qui ne disait pas son nom.
En résumé, je vous propose l'article d'Igor CAPEL paru dans "Le Canard enchaîné" n° 4639.
L'AUTEUR n'était pas né quand prit fin la guerre d'Algérie. Les fellagas et le FLN, les pieds-noirs ou les appelés, la quille, la gégène, ces mots qui furent lourds de sens pour beaucoup n'ont pu résonner en lui que parce qu'ils font partie de notre mémoire collective. Et c'est en écrivain qu'il s'en est emparé, pas pour nous raconter la bataille d'Alger ou les Barricades, mais cette guerre de chaque instant, au plus profond de soi, que durent mener ceux qui là-bas vécurent la terreur de leur vie.
Le roman débute de nos jours, dans la salle des fêtes d'un village de France où est donnée une petite réception pour les soixante ans de Solange. Tout le monde est là, les cousins, les amis, quand soudain Bernard («Feu de Bois») l'alcoolique, le paria, qui ne s'est jamais remis de l'épisode algérien et que sa famille entretient tant bien que mal, s'avance vers sa sœur pour lui offrir une broche en or. Murmures dans l'assistance, réflexions, scandale : « Comment il a pu faire ça ? avec quel argent ?» Remarquant alors la présence d'un certain Chefraoui dans la salle, Bernard lance son pavé dans la mare: « Et lui ... Il a le droit d'être là ... le bougnoule. » Expulsion immédiate du frère, la soirée se terminera chez les gendarmes.
C'est son cousin Rabut qui rapporte la scène, non sans raison, puisque ces «événements » d'il y a quarante ans, et dont les plaies viennent de se rouvrir, il les a vécus avec celui qui n'était pas encore un pestiféré. Scène violente, hachée, qui met en évidence tout le talent de Mauvignier, avec ses allers et retours, ses cassures, ses dialogues qui fusent comme des balles, ou se brisent, jusqu'à la caricature parfois: « Que je. Vous voulez que je. Moi, que je dise. Et que je confirme oui, ici, ce qui s'est passé ici. ».
Deuxième temps du livre (en flash-back) : la guerre. Nos deux cousins sont expédiés dans l'Oranais.
Un instant, on craint pour l'auteur. Ces choses qu'il n'a pas vécues, il va nous en donner une version convenue, apprise. Et quand s'ouvre le bal, avec ces soldats français qui viennent incendier un village, martyrisant femmes et enfants, ces éternelles figures de sous-officiers abrutis et sadiques, on se dit: Aïe! Mais l'on a tort. Mauvignier est écrivain, et c'est à la littérature qu'il fait confiance pour dire ce que ne peut pas dire l'histoire.
Et d'abord la peur. Celle de gars de 20 ans qui se retrouvent à monter la garde, la nuit tandis qu’une nature hostile laisse échapper ses bruits, ses conversations secrètes entre pierres et bêtes, aussitôt prises pour le pas d'un « fell » qui s'apprête à vous égorger. Comme on le leur a raconté. Et comme ils le vérifient un jour, en découvrant le corps mutilé de leur médecin sur lequel a été épinglée sa photo, avec ces mots: « Soldats français, vos familles pensent à vous, retournez chez vous. »
Les deux cousins se retrouveront à Oran, lors d'une permission trop arrosée. L’un (Bernard) est tombé amoureux de l'insouciante fille d'un colon, prélude au désastre futur de sa vie, l'autre (Rabut) ne supporte plus de s'entendre appeler « le bachelier ». D'où une bagarre mémorable entre eux, comme pour expulser la peur qui les tenaille, et qui leur vaudra d'aller au trou.
La force de ce roman tient aux moyens littéraires mis en œuvre. L’auteur avance à tâtons, se glisse dans les fêlures de consciences marquées à vie, dans les plaies qu'un simple incident peut raviver. Ainsi, par ce subtil jeu de construction qui s'apparente à un puzzle (à la manière de Claude Simon), parvient-il à faire sortir de l'ombre cette" sale guerre ", et à nous parler de ceux qui en portent encore les stigmates
Igor Capel
07:13 Écrit par Pataouete dans L'Algérie | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : mauvignier, des hommes, algérie