04 mai 2011
Le centre, ce pays où l'on n'arrive jamais
PAR JACQUES JULLIARD
En politique, comme en géométrie, ce qui fait l'originalité du centre par rapport à tous les autres lieux, c'est que c'est un point unique. Ou, du moins, qu'il devrait l'être. Ce n'est pas le cas dans la France d'aujourd'hui. Quatre candidats virtuels pour une seule niche: Borloo, Bayrou, Morin, Villepin. Sans parler de Nicolas Hulot, sorte d'écolo mâtiné de centrisme. Tout cela ne constitue pas un centre, mais un hémicycle à soi seul.
A chaque élection présidentielle, c'est la même rengaine et la même illusion: le centrisme serait la poule aux œufs d'or ! Oui, mais on s'aperçoit vite que c'est une poule qui ne pond pas! C'est ainsi que Lecanuet a été battu par de Gaulle, Poher par Pompidou, Chaban par Giscard (1), Barre par Chirac, Balladur par Chirac derechef, Bayrou par Sarkozy. Contrairement à la légende, la présidentielle ne rabote pas les angles.
Au contraire: elle les aiguise ! Le centrisme est en général très bon à un an de l'élection; dans les isoloirs, il se dégonfle.
Une remarque a son importance: tous les noms que je viens de citer au palmarès du centrisme, sans exception, d'hier à aujourd'hui, appartiennent à la droite. Ils en viennent, et y retournent toujours. Autrement dit, il n'y a pas de centrisme de gauche! François Bayrou, un moment tenté par cette option, a dû y renoncer, faute d'un espace politique suffisant, au profit du ni-nisme classique: haro sur la gauche, haro sur la droite! Mais deux non ne font pas un oui. La raison de cette absence d'un centrisme de gauche est simple: l'aile gouvernante du PS se tient assez proche du centre géométrique de la scène politique française pour étouffer dans l'œuf toute tentation d'aventure autonome.
Certes. il existe une gauche socialiste puissante - environ un tiers du parti - emmenée par Henri Emmanuelli et Benoît Hamon. Mais, comme celle des centristes, leur voix tend à s'assourdir à mesure que l'on approche de la présidentielle. A l'inverse, les candidats putatifs du PS, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry, François Hollande et Ségolène Royal, appartiennent tous à l'aile modérée du parti. La conclusion est claire: en France, le centrisme historique - je me propose d'y revenir prochainement - a toujours été un centre droit. A cette règle on opposera, tout au long de l'histoire de la République depuis 1871, la profusion de gouvernements de concentration (2), c'est-à-dire de combinaisons ministérielles rapprochant la droite de la gauche et la gauche de la droite, contre la gauche de la gauche et la droite de la droite. Mais il s'agit là d'une formule gouvernementale, qui n'exige aucun parti centriste, au contraire. Le centre est ici le lieu, non la couleur. Une telle formule n'exige aucune communauté de destin véritable, hormis une communauté réduite aux acquêts; elle traduit seulement le souci de toute majorité gouvernementale de s'étendre au-delà de ses propres bases, pour accroître sa légitimité. Dans un système bipartisan, il ne faut pas confondre la logique électorale, qui est centrifuge, et la logique gouvernementale, qui est centripète.
Revenons à la situation actuelle. La prolifération de candidatures centristes sur le flanc gauche de l'actuelle majorité traduit évidemment la perte de contrôle de Nicolas Sarkozy sur les troupes qu'il avait su rassembler en 2007. Car la capacité de rassembler est la qualité première d'un candidat à la présidentielle. Dans ces conditions, on peut s'interroger sur la signification véritable de la tentation de Jean-Louis Borloo. De deux choses l'une: ou bien, il agit de concert avec Sarkozy en occupant le terrain, quitte à s'effacer au dernier moment pour en recevoir la récompense. Ou bien il a rompu complètement avec le président, au risque de l'éliminer au profit de Marine Le Pen, dans l'espoir de séduire un électorat en désarroi. Il faudrait pour cela qu'il apparaisse moins fantasque, plus stable et plus rassurant que Nicolas Sarkozy. Ce n'est pas joué d'avance ... Quant à représenter une alternative intellectuelle crédible, on ne saurait y croire. Neuf ans de présence quasi permanente au pouvoir l'empêcheront de se présenter en homme neuf Plus à gauche que Sarkozy avec une "fibre sociale" plus forte? Mais Sarkozy lui-même n'a cessé de jouer à saute-mouton par-dessus sa majorité, tantôt plus à gauche, tantôt plus à droite ...
Au-delà de la nature hybride du centrisme. C'est donc à un véritable processus de décomposition qu'on assiste actuellement au sein de la droite. Sarkozy, naguère grand artisan de son union, s'est révélé à l'usage son dynamiteur. Comme l'affreux jojo qui casse les jouets qu'il a cessé de convoiter. Je connais peu de gens qui possèdent simultanément un tel instinct de vie et un tel instinct de mort. Le résultat est chaque fois imprévisible et explosif C'est pourquoi il peut en sortir le pire ou le meilleur, la dérive populiste ou le redressement physique et moral d'une société aujourd'hui déboussolée.
(1) La droite a changé de champion au milieu du fleuve, En pleine campagne, elle a troqué Chaban contre Giscard,
(2) Mot qui désigne dans les débuts de la République l'union des gauches au gouvernement; puis, surtout après 1914. la combinaison inverse: l'union des centres,
16 au 22 avril 2011 Marianne
07:11 Écrit par Pataouete dans La poulitique, Républiques citoyennes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : centre, jacques julliard