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17 juillet 2010

Le jour ou tout a basculé ! Sur le pétainisme d'hier ... et d'aujourd'hui

Cette année, on a célébré avec encore plus de faste que d'habitude le 18 juin et son appel.

J'ai, par contre, été interpellé par le nombre de livre et d'articles relatant les jours précédents cet appel et plus particulièrement le 17 juin 1940, le jour ou tout a basculé.

Je vais essayer de vous présenter une synthèse, de ces lectures et en particulier de 2 articles de Jean-Pierre Azéma et de Jean-François Kahn.Livres 2.jpg

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Et si on parlait de l'appel … du 17 juin

Cet appel-là, toute la France l'entendit. Il remua les âmes et bouleversa les cœurs. On s'y rallia en masse. On encensa celui qui l'avait lancé. On se donna à lui.

Je veux parler de l'appel du 17 juin ...

gouvernements.jpgLe 17 juin 1940, c'est le maréchal Pétain qui s'adresse à la nation. Il vient d'être nommé chef du gouvernement. Et que lui dit-il, à cette nation vaincue: qu'elle doit cesser le combat. Avant même de connaître les conditions d'un éventuel armistice: Avant même de savoir ce que l'ennemi exigera pour prix de cette-reddition. Ce qui signifiait donc: «Jetez vos armes et livrez-vous à lui. »

Que dit-il encore? Qu'il faut être réaliste! Qu'il ne s'agit pas d'organiser une impossible résistance, de préparer une hypothétique libération, mais de se mortifier, de battre sa coulpe, pour se régénérer par et dans le malheur intériorisé. Se purger, en somme, des miasmes de la République. Les Français, précisera-t-il quelques jours plus tard, ont trop revendiqué. Ils ont obtenu la semaine de 40 heures, les congés payés, ils se sont grisés de démocratie, ils ont osé contester « la discipline que les subordonnés doivent à l'autorité des chefs », bousculer (ne serait-ce qu'en réhabilitant le capitaine Dreyfus) les « élites naturelles à qui revient le commandement », ils ont désacralisé le travail en promouvant les loisirs. Il est donc normal, il est donc nécessaire, il est donc juste qu'ils le paient. Très cher.

Or, ce n'est pas l'appel du 18 Juin auquel les français vont, dans un premier temps, se rallier majoritairement. Mais celui du 17 juin.

Parce qu'il a une vertu formidable:

Il flatte toutes les lâchetés, mais en intégrant cet esprit d'abandon et de démission à un discours qui consiste à stigmatiser 1'« esprit de jouissance », c'est-à-dire le manque de courage et d'effort. Il dit aux Français: « rendez-vous! », mais au nom des héros de Verdun. Il leur demande de déserter le combat, mais en entonnant des chants guerriers! Il propose aux vices l'alibi du crucifix. A la désertion, l'habillage du martyre. Mieux: sur les paroles de trahison, il va systématiquement plaquer des airs patriotiques. On livre la nation à l'envahisseur, mais on empaquette cette forfaiture dans la rhétorique nationaliste la plus exacerbée. On se couche en brandissant l'étendard de Jeanne d'Arc. Pour mieux se mettre au service de l'occupant, on enfile la capote de Bonaparte. On invoque à tout bout de champ le vainqueur d'Austerlitz pour mieux se gargariser de Waterloo.

D'emblée, le pétainisme, c'est cela :

Le laxisme entortillé dans le discours de la rigueur. Une « épargne » exaltée par les fauteurs et exploiteurs de tous les déficits. Le triomphe des privilèges camouflés derrière une excommunication du pouvoir de l'argent. Une phobie logomachique de la finance bénie par l'amicale de la grande banque et un anticapitalisme déclamé avec la vive approbation du grand capital.

On peut résumer les choses autrement : un pouvoir qui brade la patrie, qui écartèle toutes les familles et livre le travail français à l'ennemi; un pouvoir qui représente ceux qui, à l'heure de Valmy, se gobergeaient à Coblence, ceux qui faisaient travailler dans les mines des enfants de 10 ans et ceux qui toujours étouffèrent le travail sous la spéculation, prend pour devise, quoi? : "Travail, famille, patrie"!

Et, alors, erreur historique, bévue gigantesque, ces valeurs-là, qui furent naguère « progressistes », la gauche républicaine les offrit sur un plateau à la droite pétainiste qui les avait kidnappées.

L'escroc devint propriétaire de ce qu'il a escroqué. A l'assassin on livra la dépouille de ce qu'il avait assassiné.

Entre l'appel du 17 juin et celui dl 18 Juin, lequel choisirent les français ? On connaît la réponse convenue: ils choisirent unanimement, ou presque, l'homélie défaitiste. Mais, faute d'instruments qui eurent permit de les sonder, qu'en sait-on?

Tordons le cou aux clichés: en réalité, ce qui étonne, compte tenu du climat de l'époque, de la chape de plomb qui s'abattit tout de suite sur un peuple assommé par l'ampleur de la catastrophe et qu'une propagande unilatérale submergeait, c'est le nombre de citoyens ordinaires, de quidams jaillis de la France du bas et du milieu, civils comme militaires, jeunes gens comme adultes, mais aussi aristocrates comme roturiers, qui, très vite et spontanément, affrontèrent les plus invraisemblables obstacles pour se rallier à ce qui n'était qu'une voix dans la nuit. Celle d'un quasi-inconnu.

Ce qui est vrai, en revanche, tragiquement vrai, c'est que la France des sommets, de tous les sommets, sommet de l'économie, de la finance, de l'expertise, de l'intelligence, de la fonction publique, du journalisme, de l'armée, de la magistrature, que cette France-là, elle, confrontée aux deux appels, choisit comme un seul homme celui du 17 juin.

Triste litanie,

Un seul préfet s'insurge : Jean Moulin. Parmi la tripotée de généraux, un seul (qui réside en Indochine) se rallie. Un seul amiral. Aucun juge. L:Académie française s'offre tout entière au Maréchal. La presse ne se vend pas, elle se donne. En quarante-huit heures. Aucun grand patron ne rejoint Londres (le général de Gaulle, dépité, en fera publiquement le constat). Aucun banquier, même en catimini, ne propose de soutenir la France libre. Aucun prélat ne lui apporte sa bénédiction. Un député de droite, un seul, Kérillis (qui ne figure même pas dans les dictionnaires) propose dans un premier temps son appui. Quelques rares socialistes, mais du rang, des sans-grades.

Le pétainisme, en fait, est une constante de notre histoire. Une forme d'invariance qui se recompose sans cesse.

On repousse La Fayette, mais on fait appel à Brunswick. Plutôt les Prussiens que les démocrates! En 1870, un autre maréchal de France, Bazaine, capitule pour ne pas avoir à servir la République. Les privilèges sont ma patrie. L'argent est hors sol. Plutôt l'étranger qui impose mes idées que ma propre nation qui les bride.

En ce sens, certains de ces communistes staliniens qui, après guerre, acceptèrent que Moscou imposât  "leur idéal" à leur peuple et contre leur peuple, se comportèrent quelque part en pétainistes.

Alain Duhamel a récemment consacré, dans Libération, une excellente chronique à ce constat : tout gouvernement est aujourd'hui confronté à deux électorats, celui qui s'exprime par le suffrage universel et celui des marchés.

Or, combien se réjouissent et ne s'en cachent guère (Alain Minc s'en félicite ouvertement) de voir les marchés imposer leurs exigences, fussent-elles radicalement contraires aux aspirations des électeurs? Pétainisme d'aujourd'hui.

Un philosophe à la mode identifiait, dans un petit livre très polémique, le sarkozysme au pétainisme. C'était absurde.

Ce qui est vrai, en revanche, c'est que la rhétorique qui infusait le pétainisme a pris si peu de rides qu'on la retrouve aujourd'hui, à l'identique, dans le discours d'une très large fraction de la droite, sarkozyste y compris.

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Sur le pétainisme d'hier ... et d'aujourd'hui

L'idéologisme camouflé

D'abord (et tout le Pétain de l'appel du 17 juin est là, l'idéologisme camouflé en "pragmatisme" et en "réalisme". Mais aussi la phobie des fonctionnaires, des profs "politisés", des syndicats "revendicatifs", des acquis sociaux repeints en privilèges, de l'égalité caricaturée en «égalitarisme», de la réduction du temps de travail (les 40 heures en 1940), de la démocratisation des loisirs (les congés payés à l'époque), du parlementarisme (vive le mode de scrutin qui permet de verrouiller les débats), culte du chef et du guide, et donc adhésion sans réticence à toutes les formes de pouvoir personnel, obsession du désordre, insensibilité totale à la thématique du pluralisme et de l'indépendance de l'information, accent mis sur l' "identitarisme national", une xénophobie light dissimulant un internationalisme de fait, idéalisation du gouvernement d' "experts" et, surtout, on l'a dit, cette capacité à enrouler la démission nationale dans les plis du drapeau tricolore ou à offrir au grand capital des mercuriales anticapitalistes protectrices qu'il approuve sans complexes.

Que sous-entend Pétain le 17 juin, et qu'il précisera sans ambiguïté par la suite : que la première leçon de la défaite, c'est qu'il faut s'aligner sur le modèle du vainqueur. Brader le nôtre et se convertir à celui-là.

Or, que disaient nos néolibéraux avant la crise? La même chose.

Au demeurant, quelle question pose-t-on prioritairement depuis soixante-cinq ans à propos de Pétain? A-t-il trahi?

Accessoirement, il a tenté de liquider, applaudi par un bon tiers des Français, l'héritage de 1789 : la liberté, l'égalité, la fraternité, les droits de l'homme, la laïcité, la tolérance, la démocratie, la République bien sûr ...

Tout!